La Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) ouvre ce jeudi 30 avril un téléservice qui permettra aux professionnels de santé libéraux dont l'activité s'est réduite de bénéficier d'une indemnisation. Objectifs, modalités, calendrier, situation des jeunes médecins : le directeur général Nicolas Revel s'explique en détail dans un entretien exclusif au « Quotidien ».
LE QUOTIDIEN : Les concertations pour définir un dispositif de soutien financier qui permette d’amortir la perte d’activité des professionnels de santé libéraux ont abouti. Quel était l’objectif ?
NICOLAS REVEL : On a constaté rapidement, dès la mi-mars, une chute d’activité très spectaculaire des professionnels de ville. Certaines professions sont à l’arrêt complet ou presque, comme les chirurgiens-dentistes, les kinés, les orthophonistes… Chez les médecins, des spécialités comme l’ophtalmologie ont un niveau d’activité de seulement 10 % par rapport à la normale. Pour les généralistes, la baisse d’activité moyenne est de - 40 % et pour les autres spécialités, on est en moyenne - 60 %, voire davantage. C’est un choc économique massif !
Nous avons donc décidé de discuter avec toutes les professions de santé conventionnées dont au moins la moitié des revenus dépendent de l’assurance-maladie obligatoire. Bien sûr les médecins, infirmiers, masseurs-kinés, sages-femmes, chirurgiens-dentistes, etc. Les pédicures podologues ou les audio-prothésistes ne sont pas inclus mais les transports sanitaires le seront.
Très vite, vous avez prévenu qu’il ne s’agirait pas de maintenir le chiffre d’affaires des cabinets libéraux. Pourquoi ?
Le ministère de la Santé a fixé le principe : un soutien qui puisse être compris par tous de façon à ce que chaque professionnel puisse reprendre son activité quand la crise s’arrêtera. L’objectif était de maintenir les professionnels en capacité de soigner à l’issue de la crise. Il est donc apparu nécessaire, indispensable et légitime de pouvoir garantir à chaque professionnel de santé qu’il pourra bien couvrir ses charges fixes constantes (loyers, salaires des collaborateurs, charges sociales et fiscales, immobilisations, investissements) pendant la crise. C’est la pierre angulaire du mécanisme : ne pas subir un risque économique majeur.
La problématique, c’est que nous sommes face à des professions libérales et non pas à des salariés. C’est pourquoi nous n’avons pas opté pour un « maintien » de revenus, qui n’aurait aucun sens. Je précise tout de même que c’est un dispositif de soutien qui n’a pas d’équivalent dans les autres secteurs !
Concrètement, quel est le mécanisme retenu ? Et comment procéder ?
Les professionnels trouveront dès demain après-midi [jeudi 30 avril] sur le site AmeliPro des éléments de présentation clairs et pédagogiques, au sein d’une nouvelle rubrique « compensation de perte d’activité ».
Comment allons-nous procéder ? Nous calculons d’abord les charges fixes à couvrir sur une première période allant de mi-mars, début du confinement, à fin avril. Pour cela, on utilise le taux moyen standardisé de charges fixes par spécialité qui ressort de l’analyse des BNC. Par exemple, pour un généraliste de secteur I, le taux réel de charges fixes est de 33,6 %. Pour un radiologue de secteur I, c’est 49,8 % et pour un ophtalmologiste 45,8 %. Pour les médecins de secteur II, le taux de charges est forcément supérieur puisqu’ils n’ont pas de prise en charge des cotisations sociales.
C’est le premier paramètre qui va être croisé avec le montant des honoraires sans dépassements de chaque professionnel perçus en 2019 (ramené donc sur un mois et demi). Nous obtenons ainsi le montant des charges fixes sur ces six semaines.
Pour calculer l’indemnité compensatrice proprement dite, nous regardons ensuite les éléments de rémunérations perçus pendant la période de crise : les éventuelles aides reçues (chômage partiel, IJ et fonds de solidarité) ; et les revenus d’activité qui demeurent au cours des six semaines. Évidemment tous les revenus d’activité ne seront pas déduits, cela n’aurait pas été juste. On applique donc le même taux standardisé de charges fixes, le reste est du gain net pour les professionnels.
Par exemple, un médecin qui a des honoraires de référence de 10 000 € par mois 2019 et un taux de charge fixe pour sa spécialité et en fonction de son activité résiduelle de 50 % bénéficiera de 5 000 € de prise en charge par la CNAM s’il a zéro revenu pendant la période de crise.
Quand verserez-vous cette première aide ?
Une fois que le professionnel aura saisi en ligne les divers éléments demandés, nous aurons besoin d’une dizaine de jours. À partir du 10 mai, les médecins recevront leur versement sous forme d’acompte, correspondant à 80 % de l’aide théorique. Il y aura une régularisation plus tardive, quand nous aurons procédé à toutes les vérifications.
Plusieurs spécialités réclamaient qu’un douzième du chiffre d’affaires des cabinets libéraux soit assuré. Pourquoi avoir refusé ?
Pour une raison de principe et une raison de justice. Le principe, c’est que nous sommes bien sur une compensation des charges pour des libéraux : je le répète, apporter une garantie de revenus revient à les assimiler à des salariés, ce qui n’aurait pas de sens. À cet égard, la garantie apportée par l’État aux cliniques correspond justement à une compensation des charges.
Deuxième point de justice : si on avait maintenu intégralement le chiffre d’affaires, donc le revenu net, de tous les libéraux, cela aurait conduit à tous ceux qui ont travaillé pendant la crise soient rémunérés autant que ceux ne l’ont pas fait. Ce serait une désincitation formidable à rester en activité.
Vous n’avez pas songé à des exonérations totales de charges sociales ?
Il peut y avoir des reports d’échéances. Mais je ne vois pas bien comment on aurait pu procéder à des exonérations totales de charges sociales pour les seuls professionnels de santé et non pas pour des pans entiers de l’économie… Je précise que nous ne retiendrons pas l’intégralité des charges sociales et fiscales dans le calcul de la compensation pour les professionnels ayant subi une forte réduction d’activité, dans la mesure où ces derniers bénéficieront forcément d’une baisse des charges à payer l’année suivante.
Les jeunes installés sont dans une situation délicate, tout comme les praticiens proches de la retraite ou en cumul. Avez-vous prévu des compensations particulières ?
Nous avons entendu la demande des syndicats et de ReAGjIR [jeunes installés et remplaçants, NDLR] d’accompagner plus fortement les praticiens en tout début d’exercice, exposés à un niveau de charges souvent supérieur et à des revenus plus faibles. Pour eux, le taux de charges fixes est majoré de cinq points pour augmenter la compensation. Cela vaudra pour des professionnels dans leurs deux premières années d’exercice.
Nous étudions par ailleurs la situation particulière des remplaçants dont nous ne connaissons pas les revenus. En revanche, nous n’avons pas retenu de sur-compensation pour les médecins en cumul emploi/retraite.
Quelle forme prendra ce dispositif exceptionnel ?
Une ordonnance sera présentée samedi prochain, 2 mai, et publiée dans la foulée. Un décret d’application interviendra la semaine prochaine.
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