À quelques semaines de l'ouverture de négociations conventionnelles entre la Cnam et les médecins libéraux, la charge de la Cour des comptes est sévère.
Premier angle d'attaque, le rôle « marginal » du système conventionnel en matière de régulation. « Alors que la croissance des dépenses de soins de ville a systématiquement excédé les objectifs depuis 2015, l'instrument conventionnel a été peu mis au service de la maîtrise des dépenses d'assurance-maladie », écrit la Cour dans son rapport sur l'application des lois Sécu, révélé ce mardi.
Les résultats globaux au regard des enjeux seraient insuffisants. Alors que, depuis 2010, les dépenses de soins de ville ont progressé en moyenne annuelle « trois fois plus vite que l'inflation », « l’accès aux soins et la coordination des professionnels continuent à présenter des carences », contrairement à l'ambition affichée des pouvoirs publics, tancent les magistrats.
Tarification à l'acte prépondérante et… Inflationniste !
Récurrente, une critique centrale vise les modes de rémunération des libéraux, jugés « inadaptés » à transformer les pratiques individuelles et collectives. L'acte reste trop « prépondérant » (69 % à 98 % selon les professions ou spécialités). Or, martèle la Cour, ce mode de paiement présente des limites « connues » : il n'est pas propice au déploiement de la prévention et présente le risque de « dérive inflationniste » car « les professionnels peuvent piloter leurs revenus en redéfinissant le contenu de la prestation, à travers la durée de leur consultation, leurs horaires, ou le nombre d’actes réalisés ».
Parallèlement, les forfaits introduits depuis une dizaine d'années (Rosp, structure, patientèle médecin traitant) restent « embryonnaires ». Sur la période, ces rémunérations forfaitaires sont passées de un 1 à 1,6 milliards d'euros « soit un peu moins de 2 % du sous-objectif ville de l'Ondam ». Entre 2015 et 2020, la seule rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) n'a représenté que 2,8 % du revenu moyen des généralistes et 0,2 % des spécialistes. « Le modèle économique pour les médecins généralistes, fondé sur la réalisation de volumes d’actes importants (...), doit être redéfini », recadre la Cour. Pour rendre leur revenu moins « sensible à la réalisation d’actes à faible valeur ajoutée médicale », les magistrats suggèrent, pour la prochaine convention, d'« accroître la part forfaitaire » de la rémunération des médecins généralistes.
La Rosp s'essouffle et bricole
Les « sages » font le constat que la Rosp, héritière du paiement à la performance, affiche des objectifs « devenus moins ambitieux ». De fait, la convention de 2016 avait déjà prévu une clause de sauvegarde garantissant aux médecins le même niveau de prime pour les deux premières années (2017 et 2018), quels que soient les résultats obtenus. Cette clause a été exercée en 2018 et 2019. Puis, l'avenant 6 a acté l'abaissement « des seuils d’éligibilité et des résultats attendus en termes de santé publique », s'agace le rapport. Conséquence : sur le dépistage du cancer colorectal, l'objectif de la part de la population concernée, initialement fixé entre 40 et 70 %, a été ramené à une fourchette entre 24 % et 55 %, « soit à une valeur inférieure à celles recommandées par l’Union européenne pour espérer faire baisser la mortalité de 10 % ». « La France, qui enregistrait déjà des résultats très inférieurs à ses voisins européens, a vu son taux de participation à ce dépistage baisser depuis, sans que la rémunération des médecins en soit affectée », se désole la Cour.
Dépassements : pas assez de modération
La Cour se montre critique sur les contrats de modération tarifaire (Optam et Optam-Co), qui consistent en une prime modulée en fonction des taux de dépassements et d’actes pratiqués au tarif opposable. Selon la Cour, si le taux moyen de dépassements des adhérents à ces contrats a certes diminué et l’activité à tarif opposable a augmenté, la proportion de spécialistes (hors médecine générale) qui facturent ces dépassements d’honoraires est en hausse : 45 % en 2016 mais 50 % à la fin de 2020. Le forfait moyen Optam a presque doublé entre 2017 et 2020, passant de 3 891 euros à 6 912 euros, « les dépassements d’honoraires continuant cependant à augmenter ». La Cour recommande de confier à la Cnam des campagnes de sensibilisation (envers les médecins aux pratiques tarifaires excessives) sans que « les objectifs et critères soient préalablement débattus en commission paritaire ».
Des négos éparses à simplifier
Alors que le champ des négociations s'est élargi depuis 2015 (au-delà du chapitre tarifaire historique, il est question de l'offre, des modalités d'exercice, de la télémédecine, etc.), le processus ne s'est pas adapté à cette extension. Entre 2015 et fin 2021, la Cour a recensé « 60 textes » de toute nature conclus entre l’Assurance-maladie et les libéraux : trois conventions, un accord-cadre interprofessionnel (ACIP), deux accords conventionnels interprofessionnels (ACI) et 54 avenants ! Ce processus « segmenté et quasi-ininterrompu » de négos – surtout pour les médecins et pharmaciens – fait courir « un risque d'inflation des compensations ou des revalorisations accordées ». Il est aussi « nuisible » au suivi des conventions par les instances paritaires.
La définition d'une « stratégie pluriannuelle de négociations » est recommandée à cinq ans. Surtout, la Cour propose d'inverser et de réformer le processus en commençant par des discussions pluriprofessionnelles au périmètre élargi (vie conventionnelle, télétransmission, coordination des parcours, cotisations sociales, etc.), accord qui « pourrait aussi fixer certaines rémunérations », suggèrent les sages. Ce cadre (« clé de voûte ») serait complété par des accords interpro entre « deux ou trois professions ». Enfin, chaque profession traiterait de ses spécificités dans le cadre des conventions monopro. Une telle évolution, glisse la Cour, implique un « changement culturel pour les organisations syndicales représentatives comme pour l’Assurance-maladie ».
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique