Ces questions, je me les pose depuis bientôt 35 ans. Et bien qu’ayant travaillé jusqu’à l’année dernière à la Pitié-Salpêtrière aux côtés des médecins, je constate avec tristesse que mes collègues médecins appliquent avec beaucoup de rigueur les enseignements de la faculté de médecine ne concernant que le fonctionnement des organes et des fonctions somatiques.
Ils ignorent tout de leurs patients sauf au hasard de conversations ; ils ne connaissent rien de leur vie, ni des événements de vie qui les ont conduits peut-être à l’hôpital ou chez leurs médecins en ville. Ils ne connaissent que les antécédents, le sexe et l’âge, et, à l’occasion d’analyses biologiques, les différents marqueurs ainsi que les images fournies par l’IRM, le scanner, l’écho-doppler, etc.
Cela suffit-il pour connaître un patient ? Pour le soigner ? De cette façon, on restreint l’exercice médical à une pratique exclusivement technique appauvrissant le métier de médecin.
Le déclic de l'observance
Les problèmes d’observance des prescriptions ont fini par éveiller leur conscience professionnelle, mais ils sont démunis face aux patients à qui ils recommandent de façon parentale de suivre avec soin la prise de leurs médicaments. Les médecins sont perturbés par les nombreux échecs cliniques et depuis maintenant de nombreuses années, ils tentent de développer de nouvelles techniques pour améliorer l’observance : information du patient, éducation thérapeutique ; il s’agit d’une approche cognitive s’adressant directement à l’esprit-raison des patients et pas à leur esprit-psyché.
Il n’y a rien de plus difficile que de modifier les comportements humains car leur programmation neurologique appartient aux premiers temps de l’existence. Les thérapies comportementales et cognitives peuvent aider dans une certaine mesure, mais les résistances au changement sont difficiles à faire disparaître. Nous sommes aujourd’hui aux limites de la pratique de la médecine qui se révèlent dans le stress et le burn out de très nombreux médecins. Il en est de même des étudiants en médecine qui protestent souvent violemment.
Déshumanisation, burn out, dépression, l’obsession de la réussite et du savoir, la peur de l’erreur : tout étudiant en médecine a eu un aperçu plus ou moins intense de ces difficultés lors de ses études, je les ai moi aussi vécues pleinement… Stages le matin, travail personnel l’après-midi, conférences ou sous-colles le soir pendant 3 ans. La peur de nuire à autrui en faisant des erreurs s’ajoute rapidement à la peur de l’échec au concours. Cette peur formate notre vie, nous robotise, nous enlève cette part d’humanité qui nous est indispensable dans notre métier. Car oui, c’est avant tout un métier.
Ce métier, on le fait surtout pour nous, pour gagner notre vie tout en étant utile aux autres et à la société. Je ne pense pas qu’il soit réellement possible d’aider les autres sans s’accomplir dans sa propre existence.
Pour une nouvelle approche
Que faire face à ce désarroi grandissant ? En tant que psychosomaticien, psychanalyste, pratiquant à l’hôpital et codirecteur d’un diplôme universitaire de psychosomatique intégrative, j’ai développé une nouvelle approche inter-reliant un modèle de fonctionnement psychique issu de la psychanalyse, la médecine et les neurosciences. Cette approche permet au public de professionnels auquel je m’adresse, médecins et psychothérapeutes, d’aborder de façon globale les malades et non plus leurs maladies. Des médecins ayant souvent 20 ans d(expérience pensent que cette formation leur a permis d’enrichir leur pratique, et certains d’entre eux passent plus de temps avec leurs patients. Ils se sentent renaître. L’approche développée permet d’accéder au deuxième paradigme de la médecine, à savoir la capacité d’interrelier plusieurs champs scientifiques, tournant la page du premier paradigme de la médecine qui ne s’adresse qu’à un être désincarné où seule la technique prédomine dans le soin.
L’approche développée au cours des 10 dernières années pourrait être intégrée très rapidement dans le cursus médical des facultés de médecine, et dans les formations permanentes des médecins. Il est important aujourd’hui d’établir des relations humaines authentiques permettant aux médecins de comprendre leurs patients dans toutes les dimensions de leur vie. Quand est-ce qu’une telle révolution prendra place dans notre pays ?
* Professeur émérite, psychosomaticien, psychanalyste, ancien président de l’Institut psychosomatique « Pierre Marty », ancien président de la Société française de médecine psychosomatique, Président en exercice de la société de psychosomatique Intégrative.
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