APRÈS DES SEMAINES d’atermoiements et de revirements, le gouvernement a reculé sur l’impopulaire quatrième jour de carence pour les salariés du privé en arrêt maladie. La mesure sera compensée par une baisse des IJ pour les salaires de plus de 2 500 euros brut, qui fera l’objet d’un décret. Parallèlement, un jour de carence a été instauré dans la Fonction publique et étendu aux régimes spéciaux. Aiguillée par l’Élysée, la majorité UMP a affiché, tout au long de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PIFS), sa volonté d’en finir avec les fraudeurs aux IJ, le ministre de la Santé Xavier Bertrand affirmant qu’« entre un arrêt de travail sur dix et un sur six est illégal ». Cette offensive spectaculaire contre tous ceux qui tirent sur la corde a occulté une autre déviance, bien réelle : le refus des patients de prendre des arrêts maladie totalement justifiés, pour des raisons notamment économiques ou professionnelles.
Précarité.
« Docteur, je ne peux pas me le permettre ». Cette phrase, les médecins généralistes la connaissent bien. « Un patient sur cinq à qui je recommande le repos m’oppose un rejet pur et simple », quantifie le Dr Claude Leicher, président de MG France. Dans son cabinet d’Étoile-sur-Rhône (Drôme), ce sont les salariés en contrat à durée déterminé (CDD), les employés des usines de sidérurgie et les enseignants qui se montrent les plus hostiles à prendre leurs arrêts maladie.
À Cholet (Maine-et-Loire), le Dr Éliane Chenu, médecin généraliste, constate elle aussi que « pour les travailleurs indépendants, petits artisans, commerçants et libéraux, la question de l’arrêt maladie sous-entend celle d’un remplaçant ». Ce qui fait dire à cet autre médecin généraliste de Lodève (Hérault) qu’« à moins de souffrir d’une fracture du col de fémur, pour ces patients-là, c’est systématiquement non ».
La récente controverse sur les jours de carence n’a rien arrangé. Selon le Dr Myriam Daillet, médecin généraliste à Béthune (Pas-de-Calais), cette polémique a eu « un impact négatif sur les patients, qui y voient une évocation supplémentaire de la précarité dans laquelle beaucoup se trouvent et un motif de plus pour refuser les arrêts maladie ». Le Dr Chenu, comme beaucoup de ses confrères, explique cette réticence des patients en situation précaire par « une très grande peur des conséquences de l’arrêt de travail sur les possibilités d’embauche ». En CDD, en intérim, en période d’essai, un salarié ne tentera pas le diable, bien que la loi française interdise qu’il soit « sanctionné, licencié ou [fasse] l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte […] en raison de son état de santé ou de son handicap », stipule le Code du travail.
Jean-Christophe Poutrain, médecin généraliste et professeur associé à la faculté de médecine de Toulouse, raconte l’histoire de ce jeune homme de 23 ans, intérimaire dans le bâtiment, pour qui une vilaine plaie au pied a nécessité de la chirurgie et un arrêt de travail de six semaines. « Quand ce garçon m’a annoncé, penaud, que depuis son arrêt de travail, il n’avait pas été réembauché par l’entreprise, j’ai vu rouge, explique le Pr Poutrain. J’ai dû appeler son patron pour qu’il retrouve son emploi ».
La solidarité au travail, notamment en milieu hospitalier et dans le monde enseignant, est une autre raison du refus des arrêts maladie : certains salariés ne veulent pas que leurs collègues subissent une augmentation de leur charge de travail à cause de leur absence. « Dans tous les cas, non content d’être malade, on fait porter au salarié souffrant le poids de la responsabilité professionnelle vis-à-vis de ses collègues ou de son patron, résume Véronique Daubas-Letourneux, sociologue spécialisée dans la santé au travail. C’est de la double peine ! ».
Une carence de trois…mois
Pour les professions indépendantes et libérales, la protection sociale est si faible que tomber malade est quasiment exclu ! Les artisans et les commerçants qui cotisent au Régime social des indépendants (RSI) bénéficient d’IJ (plafonnées) après un an de cotisation et à partir du quatrième jour en cas d’hospitalisation, du huitième en cas de maladie ou d’accident. Les médecins ne sont guère mieux lotis. Sans contrat supplémentaire souscrit auprès d’une assurance privée, les médecins non conventionnés et ceux du secteur 2 ne touchent aucune indemnité. Quant aux praticiens de secteur 1, ils bénéficient d’IJ (au titre de la prévoyance CARMF) à partir du 91ème jour d’incapacité totale de travail pour cause de maladie ou d’accident. « Liberté, égalité, fraternité, c’est ça ? ironise le Dr Jean Charbogne, médecin à Aix-en-Provence. Quelle injustice entre nous et les fonctionnaires ! »
Arnaud de Broca, secrétaire général de l’association des accidentés de la vie (FNATH), est témoin des conditions de travail et de la pression professionnelle qui poussent les Français à refuser l’arrêt maladie. « Les employés, spécialement dans les PME, craignent le licenciement pour inaptitude, un moyen légal de se séparer de quelqu’un qui souffre, par exemple, d’une lombalgie. Sur les 120 000 licenciés par an par ce biais, beaucoup pourraient conserver leur poste si les entreprises jouaient plus le jeu du reclassement et moins celui qui consiste à culpabiliser leurs employés ».
Par peur de perdre leur emploi, de l’argent, la considération de leur chef ou de leurs collègues, ou simplement parce qu’ils n’ont aucune solution de secours, nombre de Français jouent gros avec leur santé. Jusqu’à quel point ? Le Dr Daillet raconte cette visite chez une « petite jeunette de 30 ans », journaliste en CDD, qui a « refusé de prendre un arrêt maladie et m’a dit vouloir retourner bosser le plus vite possible, malgré une grippe carabinée et 39,8 °C de température. Il y a dix ans, cette scène n’aurait jamais été possible ».
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