Ces médecins qui combattent l’enchaînement « Métro-Boulot-Bobo »

Publié le 12/11/2013
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DES MÉDECINS qui exercent dans des secteurs réputés difficiles témoignent :

• DU CÔTÉ DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE

Mariana Chaillou-Guez, médecin du travail chez Orange (photo jointe)

Jouer pleinement son rôle sans être seul.

« Après une expérience dans les assurances et le secteur hospitalier, je préfère l’exercice de la médecine du travail en entreprise car il repose sur la confiance. Nous avons aussi une grande liberté d’action et nous sommes vraiment à part. Je ne ressens pas la pression que j’ai pu vivre dans le secteur hospitalier. La souplesse de notre exercice permet aussi d’aller dans l’accompagnement des travailleurs. Dans la recherche des aménagements de postes, nous pouvons aller vraiment très loin. Chez Orange, nous avons ce regard unique de la santé et son articulation avec le travail. Je passe aussi beaucoup de temps à échanger avec mes confrères libéraux pour bien orienter les salariés. Nous favorisons beaucoup le télétravail qui se dessine chez nous comme une solution d’avenir. Fini les plates-formes et les open-space, là-dessus nous avons joué notre rôle. Je travaille avec des spécialistes du handicap, des assistantes sociales, et nous réunissons toutes les compétences possibles pour que le télétravail devienne une réalité facile à vivre. On ne vient jamais empiéter sur notre territoire et rien ne menace ni notre autonomie ni notre liberté d’action. Le médecin du travail est respecté dans ses décisions. Cette fonction nous permet aussi d’échanger avec les inspecteurs du travail pour gérer les personnalités complexes. Nous pouvons aussi déceler des pervers ou des paranoïaques parmi le personnel. Il faut avoir du courage, s’y investir et en entreprise le médecin n’est jamais seul pour trouver des solutions. »

• DANS LE BÂTIMENT

Jean-Marc Plat, service inter-entreprises spécialisé dans le BTP (Photo jointe)

Imaginer des solutions, guider les aménagements et les reclassements.

« Le bâtiment reste un secteur très accidentogène où il existe encore des métiers pénibles avec beaucoup de manutention, la manipulation de machines dangereuses, qui vibrent, ainsi que du travail à réaliser en hauteur, malgré les intempéries. Cette branche professionnelle connaît réellement la pénibilité. Sur les chantiers, les gens sont usés. On repère de plus en plus tôt des troubles musculo-squelettiques, des problèmes de dos, d’épaules, de genoux, mais aussi de surdité liée au bruit. L’allongement du temps de travail est quelque chose de très compliqué dans notre secteur. Nous réfléchissons au reclassement professionnel, aux aménagements de poste. Nous connaissons les postes, les entreprises et il nous appartient d’établir des liens avec les salariés pour trouver les aménagements les mieux adaptés et les maintenir dans leur emploi. Nous avons aussi un œil sur la prévention des addictions, car c’est quelque chose dont on parle de plus en plus dans notre secteur. Notre mission nous conduit vers les autres. On rencontre les salariés, les entreprises et tous les acteurs qui gravitent autour. On découvre des domaines que l’on ne soupçonne même pas et c’est vraiment enrichissant notamment depuis le démarrage de ce travail en équipe qui n’est finalement pas si éloigné de l’exercice de la médecine à l’hôpital. »

• DANS L’INDUSTRIE AUTOMOBILE

Nicolas Brosset, médecin du travail sur le site de Mulhouse de PSA Peugeot-Citroën, répond à trois questions :

LE QUOTIDIEN – Pourquoi avoir choisi d’exercer au sein d’une grande entreprise ?

Dr Nicolas Brosset – Après quatre ans d’exercice seul en médecine générale, j’ai passé l’un des premiers concours européens de médecine du travail avec l’envie de rejoindre une grande entreprise par convictions sociales. Je voulais continuer à suivre les salariés beaucoup plus fréquemment, pouvoir intervenir en cas d’urgence en cas de malaise ou d’accident dans l’atelier. La médecine du travail est un exercice rêvé pour conserver une activité à forte composante médicale en étant en position de contrepoids à des décisions managériales pas toujours judicieuses vis-à-vis des salariés. La médecine du travail reste l’un des garde-fous des salariés, même si notre poids n’est finalement pas très important. On arrive pourtant régulièrement à améliorer des conditions de travail et à faire progresser les choses notamment dans un contexte difficile.

Comment exercer dans une entreprise qui licencie ?

Nous y avons d’autant plus un rôle à jouer. Ce n’est pas parce que l’entreprise va mal qu’il faut laisser tomber tous ceux qui sont là. Au contraire, il faut amener l’entreprise à prendre des mesures, à accompagner les salariés qui sont dans la détresse. Le médecin du travail le temps d’écoute, d’accueil et d’accompagnement psychologique des salariés qui est non négligeable. Notre activité ne se résume pas à de simples visites d’aptitude aux postes de travail qui ne débouchent sur rien. Nous participons à la conception de postes de travail, et nous donnons beaucoup de consultation spontanée. Dans un groupe comme PSA, 40 % des visites du médecin du travail correspondent à des demandes spontanées du salarié ou de sa hiérarchie. Ils viennent nous voir lorsque quelque chose est à prendre en compte et nous sommes là pour les aider. C’est intéressant, prenant, on peut y faire nettement plus de 35 heures. Un travail passionnant et difficile car nous sommes pris entre des intérêts divergents, entre les organisations syndicales, les salariés, la direction, mais finalement, l’attitude la plus juste possible en s’appuyant sur notre expertise médicale permet de conseiller et de faire progresser les choses. Et d’améliorer la vie des salariés.

Que faites-vous pour faciliter les reconversions ?

Dans un premier temps, nous faisons des propositions de modifications de postes de travail. Le médecin devient alors l’interface pour comprendre les situations techniques auxquels nous apportons notre regard médical. Il s’agit de comprendre en quoi une installation va entraîner des difficultés physiques ou intellectuelles pour qu’un salarié tienne son poste. Il faut donc avoir une appétence à la fois pour le technique, le médical, et l’humain. La prise en compte de l’ensemble de ces aspects nous permet de faire des propositions pour faire évoluer les postes de travail dans le cadre du maintien dans l’emploi. Avant même d’avoir à reclasser les gens, les médecins du travail peuvent déceler un dysfonctionnement et intervenir. Dans un certain nombre de cas, nous sommes capables d’améliorer la situation et permettre aux salariés de se maintenir dans l’emploi. Dans la mesure du possible on essaie d’anticiper les difficultés qui peuvent se présenter. Lorsque cela n’est pas possible, lorsqu’une pathologie se déclare brutalement ou que, techniquement, nous ne disposons pas des solutions, il nous appartient d’aider l’entreprise à comprendre quels sont les éléments à prendre en compte pour continuer à employer le salarié. Cela est plus facile dans une très grande entreprise où il y a une grande variété de postes. C’est le cas de notre site de Mulhouse qui emploie 7 500 personnes.

 L. M.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9279