L'e-réputation menacée par des commentaires désobligeants

Des médecins plaident pour réglementer les avis Google

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Publié le 16/03/2017
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Crédit photo : Google

« Il ne vous regarde pas, n'écoute absolument pas ce que vous avez à dire, ne vous explique pas sa prescription… », « Médecin toujours en retard », « Médecin anxiogène », « diagnostic bancal » etc. Les avis Google laissés en ligne depuis 2008 par les patients à l'égard des établissements de santé et des praticiens ne sont pas tous élogieux.

Le Dr François Wolf, dermatologue en Savoie, en a fait les frais. Il a eu la désagréable surprise de découvrir des commentaires négatifs qu'il estime infondés. « La généralisation des "avis Google" sur les médecins sans leurs consentements est une attaque d'une extrême gravité et sans précédent », affirme-t-il dans une lettre adressée au directeur général de Google France dont « le Quotidien » a eu copie. Selon ce praticien, le moteur de recherche porte une atteinte très grave et injustifiée à la réputation des médecins. « La menace de dénonciation publique altère la relation de confiance avec le patient » et peut avoir « des conséquences désastreuses sur l'activité ».

Révolté, le dermatologue réclame des comptes à Google France. Il souhaite « l'interdiction du référencement automatique » sans l'accord des médecins au préalable.

Procédure insatisfaisante

Également alerté par ce praticien, l'Ordre confirme au « Quotidien » s'être saisi du dossier depuis plusieurs années, ayant remarqué une tendance à l'amplification de cette pratique. « Aucune disposition légale n’interdit de laisser des avis sur les fiches des entreprises listées sur Google Maps quelle que soit la profession concernée », explique le Dr Jacques Lucas, vice-président de CNOM. Également délégué général aux systèmes d’information en santé, il a déjà rencontré la direction de Google France sur le sujet et interrogé la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Les praticiens peuvent engager une procédure afin de signaler et supprimer des avis hors sujets, inappropriés ou reflétant un conflit d’intérêts mais le délai d'attente est parfois interminable. « Google a deux mois pour répondre. Au-delà, en cas d'absence de réponses ou de réponse insuffisante, le médecin peut demander à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d'intervenir », précise-t-il. La CNIL a par ailleurs déjà épinglé Google France à plusieurs reprises. 

Selon le Dr Lucas, il faut assainir cette pratique. « Les avis doivent être fondés. Le médecin doit pouvoir se défendre dans le cas contraire, commente-t-il. Le sujet doit pouvoir être mis dans les mains d'avocats. »

Aucune régulation

Les services d'avis et/ou de notations des établissements ou professionnels de santé ont fleuri ces dernières années. L’Association française de normalisation (AFNOR), a publié un document relatif aux avis en ligne. Les entreprises spécialisées dans ce secteur peuvent demander à être certifiées. « Cette norme permet de limiter les avis infondés. Il y a une charte de modération », explique l'association. Néanmoins, aucune entreprise dans la santé n'a procédé à une certification, confie l'AFNOR : « Noter les professionnels de santé, ce n'est pas rentré dans les mœurs. »

Les start-up tentent d'apporter des garanties aux patients et praticiens. C'est le cas de Dokbody qui affirme suivre les recommandations de la norme AFNOR. « Les patients évaluent leur praticien sur des critères en dehors du champ médical (attente, accueil, qualité d'écoute etc., précise Laurène Corbière, fondatrice de Dokbody. Les avis libres sont modérés avant publication. Nous pouvons vérifier l'identité en cas de doute sur la véracité de l'avis ». En cas de problème, le praticien peut les contacter pour signaler les abus. Près de 6 000 recommandations ont déjà été laissées. Les sites quimesoigne.com et NotetonDoc procèdent également à la modération, l'un des chaînons manquant des avis Google.

Une norme internationale sur les avis et la modération, pilotée par la France, est en préparation dans une quinzaine de pays. « Elle est attendue en 2018. Google devra se positionner sur le sujet », affirme l'AFNOR.

Sophie Martos

Source : Le Quotidien du médecin: 9564