LE QUOTIDIEN : L'ampleur de la manifestation des médecins, le 14 février à Paris, vous a-t-elle surprise ?
Dr STÉPHANIE RIST. Non, je m'attendais à ce qu'il ait du monde. J'entends complètement l'expression de la situation difficile que vivent les médecins libéraux, en particulier les généralistes, inquiets pour leurs conditions de travail actuelles et encore plus à venir. Ils croulent sous le boulot et, parfois, ne peuvent même plus répondre à toutes les demandes. Mais nous sommes au pied du mur. C'est en 2027 que le vieillissement de la population médicale va produire le maximum de son effet.
Avec le développement de la pratique avancée et de l'accès direct aux paramédicaux, certains médecins vous reprochent de vouloir revenir aux « officiers de santé » de la Révolution française. Que leur répondez-vous ?
Je sais très bien que les évolutions que nous proposons touchent au cœur de l'histoire et de la construction de la médecine libérale en France vis-à-vis de l'État qui a garanti aux médecins leur monopole d'exercice. Quand on est médecin, la seule chose qu'on veut c'est bien soigner le malade.
Or justement, ma proposition de loi part du principe que le partage de compétences n'est pas un moyen de soigner plus de gens ou moins de gens, mais de les soigner mieux. C'est ce que montrent les études sur la pratique avancée à l'étranger. Je crois aussi que beaucoup de mes confrères ne connaissent pas bien encore la formation des infirmières en pratique avancée.
Même l'Ordre des médecins était présent à la manifestation. Comment y réagissez-vous ?
J’ai du mal à comprendre qu'un Ordre aille manifester. Encore plus quand il s'agit d'améliorer la qualité des prises en charge par le partage des compétences. Cela peut-il être considéré comme autre chose que du corporatisme ? Je ne le crois pas.
Le Sénat a souhaité que l'accès direct aux paramédicaux soit possible dans le cadre d'un exercice coordonné au sein des maisons et centres de santé ou des équipes de soins mais a jugé l'échelle de la CPTS trop lointaine. Retenez-vous cet ajustement ?
Non, je tiens beaucoup ce que la coordination puisse se faire dans le cadre de la CPTS. À l'Assemblée nationale, nous avions trouvé un équilibre en précisant qu'il fallait qu'il y ait un projet médical entre les membres de la CPTS pour permettre l'accès direct. La portée de la mesure serait nettement réduite si on supprimait l'échelle de la CPTS ! On n'a pas besoin de se connaître personnellement entre professionnels de santé pour se faire confiance. La confiance doit être liée aux diplômes universitaires obtenus et aux compétences.
Le sujet de la primoprescription par les IPA suscite l'inquiétude dans le corps médical. Entendez-vous ces craintes ?
Je l’avais déjà un peu constaté au moment du débat sur les sages-femmes. En France, notre système est toujours très pyramidal avec un médecin tout en haut, le seul à pouvoir prescrire. Je crois qu'il faut vraiment transformer cette pyramide en un cercle où le médecin a une place centrale mais où tout le monde travaille ensemble.
La prescription des paramédicaux sera cadrée, tout ne sera pas permis. D'ailleurs aujourd'hui, tous les médicaments ne peuvent pas être prescrits par tous les médecins, certains sont réservés à des spécialités. Cela sera un peu la même chose. Il y aura des actes et produits que les infirmières pourront prescrire parce qu'elles y auront été spécifiquement formées, qu'elles auront les compétences et travailleront en coopération avec les médecins.
Le partage de compétences est arrivé avec la loi Bachelot de 2009. Puis le sujet a peu avancé en ville. L'accélération actuelle n'est-elle pas un peu trop brutale ?
On doit accélérer vraiment. ll est de ma responsabilité de parlementaire d'agir aujourd'hui, même si une partie de la profession peut avoir l'impression qu'on accélère brutalement sur le sujet du partage des compétences. Notre système de santé est pris dans un certain nombre d'immobilismes qui remontent aux années 50 et à la loi Debré de 1958. Il y a eu des réformes bien entendu ! Mais jamais pour requestionner les métiers de chacun alors que les maladies évoluent et la société évolue.
Avez-vous eu personnellement l'occasion de travailler avec des IPA ?
Non, en revanche j'ai entrepris un travail depuis des années avec une infirmière de rhumatologie qui est à la base de mon engagement sur ces sujets. Nous avions imaginé un protocole de coopération "Berland" [le dispositif expérimental issu de la loi Bachelot, NDLR] qui allait assez loin. C'était au début des années 2010 et dans mon département, le Loiret, il y avait déjà des difficultés d'accès aux soins et les délais de rendez-vous de ma consultation étaient longs. Or, en rhumatologie, certaines pathologies traitées tôt peuvent guérir au lieu de se chroniciser. J'avais alors proposé un protocole de pré-consultation par une infirmière du CHU en accès direct. Après une formation ad hoc, elle aurait pu prescrire des radios et prises de sang et m'adresser en priorité les malades les plus urgents. Je n'ai pas compris pourquoi cela a été refusé par la HAS.
Les infirmières anesthésistes pourront-elles accéder à la pratique avancée, comme le Sénat le propose ?
Nous n'en avons pas débattu à l'Assemblée nationale car je n'avais pas encore reçu le rapport de l'Igas qui le préconise. Je suis assez en phase avec cette proposition.
Le Sénat a ajouté la possibilité de faire payer une taxe aux patients qui n'honorent pas leur rendez-vous. La soutenez-vous ?
Moi aussi, cela me rend folle, le lundi matin, à ma consultation à l'hôpital, quand les malades ne viennent pas sans raison alors que j'ai des délais de rendez-vous de presque un an. J'entends la demande légitime des médecins libéraux. Pour autant, je me demande si c'est une idée vraiment opérationnelle. Je pense qu'il faut d'abord travailler avec les plateformes de rendez-vous pour empêcher les gens de prendre plusieurs rendez-vous en même temps.
Pourquoi avoir ajouté dans votre proposition de loi une demande de rapport sur la pertinence de l'adressage des patients par le médecin traitant vers les spécialistes ?
C'était un amendement des socialistes auquel j'avais donné un avis favorable. Peut-être que justement ce rapport permettra de montrer tout l'intérêt du médecin traitant. Je crois en tout cas qu'on a le droit de poser toutes les questions, surtout quand la population est privée de l'accès aux soins qu'elle devrait avoir.
Votre proposition est arrivée en pleine négociation conventionnelle, au risque de parasiter ces discussions. N'était-ce pas un mauvais timing ?
Je travaille sur ce sujet depuis trois ans ! Allez dire aux gens qui n'ont plus de médecin traitant qu'on n'est pas à quelques semaines près… Ce n'est pas pour rien que personne n'a voté contre la proposition de loi à l'Assemblée nationale. La notion d'engagement territorial que nous avons traduite dans la loi était une promesse du président de la République, lors de ses vœux en janvier, et c'est une attente des Français. Les syndicats discutent dans les négociations conventionnelles. Le législateur vient leur dire qu'ils ont des droits mais aussi des devoirs.
Soutenez-vous les revendications tarifaires des médecins libéraux ?
Oui complètement. S'il y a une évolution des partages de compétences, les médecins vont se retrouver avec davantage de patients plus lourds, plus compliqués et plus âgés. Il faut donc absolument des revalorisations de leurs actes d'autant que, si l'on regarde sur les quinze dernières années, la valeur de l'acte a relativement peu progressé. Mais pour moi, la revalorisation ne peut être liée qu'à l'évolution du métier. Je dis aux médecins : soyez moteurs du partage de compétences.
En 2021, vous aviez défendu une autre PPL qui a posé l'encadrement de la rémunération des médecins intérimaires. Celle-ci doit entrer en vigueur en avril. Est-ce le bon moment ?
Je sais les craintes et les difficultés des hôpitaux par rapport à cette question mais je pense qu'il est urgent de mettre en place l'encadrement des rémunérations. Le temps a été pris pour l'organiser et apporter le soutien aux services qui pourraient être le plus en difficulté, notamment au sein des GHT. Mais il est indispensable que ce soit fait partout en même temps.
Emmanuel Macron a relancé le chantier de la gouvernance hospitalière. Quel est votre point de vue ?
Le ministre a confié une mission au Pr Claris qui avait déjà écrit un rapport intéressant à ce sujet. Je pense que c'est très bien qu'il puisse y avoir des médecins dans les directions des établissements. Mais c'est aussi quelque chose qui entraîne une responsabilité. Il faudra voir s'il y a des candidats.
Le chef de l'État veut revoir la question du temps de travail à l'hôpital. Comment s'y prendre ?
Je suis en faveur de la souplesse et de l'autonomie des services. C'est une question qui doit être travaillée avec les représentants du personnel et les soignants concernés. Vouloir travailler en douze heures, pourquoi pas. Mais cela ne convient pas forcément à tout le monde et à toutes les périodes de la vie. Il ne faut pas perdre de vue que le temps de travail a des conséquences sur la pénibilité.
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique
« Cela correspond totalement à mes valeurs », témoigne la Dr Boizard, volontaire de Médecins solidaires
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne