À la veille du premier tour de l'élection présidentielle, la nouvelle enquête de l'Ordre national des médecins sur le paysage fragile de la permanence des soins ambulatoires (PDS-A) – que publie « Le Quotidien » – risque d'alimenter le débat sur le retour des gardes obligatoires. Une hypothèse peu ou prou envisagée par plusieurs candidats (Fabien Roussel, Éric Zemmour, Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron) pour combattre les déserts médicaux. Tour d'horizon.
Érosion du volontariat des généralistes
Après une évolution légèrement favorable de la participation des médecins à la PDS-A en 2019 puis 2020, impulsée par la crise sanitaire (+ 0,5 %), le taux de participation global des généralistes volontaires est reparti à la baisse (-0,8 %), à hauteur de 38,5 %.
Plus précisément, l'enquête dénombre 24 472 médecins volontaires pour 63 231 praticiens susceptibles de participer aux gardes. Il existe une grande hétérogénéité au niveau départemental – avec un minimum de 6 % pour Paris et un maximum de 82 % pour les Vosges. Mais pour l'Ordre, ce critère est à prendre avec précaution. À Paris par exemple, la « professionnalisation » de la PDS-A autour d’associations de type SOS Médecins conduit à « un taux de participation relativement faible sans pour autant que les tableaux de garde peinent à être complétés ». À l’inverse, dans quelques départements où le taux de mobilisation est élevé, des problématiques organisationnelles compliquent les tours de garde.
Taux de participation des médecins à la PDSA en 2021

La régulation médicale fait le plein
Quand ils sont volontaires, les médecins choisissent volontiers la régulation médicale. En 2021, l'enquête note que les médecins libéraux ont participé à cette mission sur la quasi-totalité du territoire, à l’exception de huit départements : dans les Ardennes, sur le Territoire de Belfort, dans la Nièvre, en Guyane, à Mayotte, à la Réunion ainsi qu’au sein des organes de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie qui ne disposent pas de régulation libérale organisée. Au total, 2 621 médecins libéraux installés en activité régulière ont été volontaires pour cette activité (+2 % par rapport à 2020). Sur les 47 184 généralistes libéraux, ils étaient ainsi 5,6 % à participer à la régulation médicale contre 5,3 % en 2020. À ce chiffre, s'ajoutent 647 médecins retraités, salariés ou remplaçants (+13,9 %). Au total donc, 3 268 généralistes ont assuré cette activité.
Effectifs de médecins libéraux installés, de médecins retraités, salariés ou remplaçants ayant participé à la régulation médicale de la PDSA en 2018, 2019, 2020 et 2021

Cette croissance des effectifs s'explique notamment par le renforcement du front de régulation dans le cadre l’épidémie (élargissement des plages horaires, ajout de lignes de garde). En moyenne, les médecins régulateurs ont touché des forfaits d'astreinte compris entre 75 euros et 150 euros par heure de régulation en horaires de PDS-A, tous créneaux confondus (donc du simple au double). Ces montants sont déterminés localement par les ARS via le fonds d’intervention régional (FIR), augmentant les inégalités de traitement.
En 2021 toujours, l'accès à la régulation médicale par le 116-117, numéro libéral spécifique dédié la PDS était utilisé par 14 départements (contre 12 un an plus tôt). L'enquête révèle que 43 % des départements sont favorables à un numéro spécifique dédié à la PDS-A en 2021 pour désengorger le 15. Mais 29 % des départements y sont défavorables (contre 31 % en 2020) aux motifs que « le 15 est suffisamment efficient et largement utilisé » et à cause du risque de « confusion pour les patients ».
Réquisitions en hausse
A contrario, l'engagement dans l'effection faiblit dans les territoires.
Ainsi, plus d'un tiers (36 %) des secteurs de PDS-A (en prenant pour base le nombre de secteurs en week-ends et jours fériés) étaient couverts par moins de dix médecins volontaires en 2021, et 20 % par moins de cinq volontaires. « Il y a une légère dégradation de la couverture des territoires de PDS-A au niveau des médecins volontaires présents, confirme le Dr René-Pierre Labarrière, président de la commission PDS-A à l'Ordre. C'est toute la fragilité des zones confrontées à la démographie médicale, aux départs à la retraite ».
Conséquence, les réquisitions préfectorales ont repris dans 25 départements, contre 15 en 2020 ! À côté des réquisitions ponctuelles pendant les périodes de fêtes, les décisions du préfet ont été « récurrentes » dans cinq départements (Haute-Garonne, Eure-et-Loir, Charente, Gironde et Vosges). « Dans ces territoires, les médecins sont déjà peu nombreux et la PDS rajoute une charge supplémentaire sur ceux qui sont déjà en difficulté », explique le Dr Labarrière.
Le nombre moyen de jours de gardes est très hétérogène. En 2021, les médecins effecteurs (titulaires ou remplaçants) ont chacun réalisé « 29 gardes » en moyenne (comme l'année précédente), mais avec un minimum de six gardes annuelles en moyenne dans l’Orne et un maximum… de 152 en Seine-et-Marne. Les médecins privilégient les gardes dans des points fixes (maisons médicales de garde – MMG – centres d'accueil et de PDS) qui continuent de se développer avec 501 sites dédiés à la PDS-A fin 2021, soit 11 de plus qu'en 2020.
Selon l'enquête, les médecins effecteurs ont touché en 2021 des forfaits d'astreinte très variables, définis par les ARS, compris entre 50 euros et 200 euros par tranche de 4 heures et entre 50 euros et 420 euros pour l'effection mobile.
Zones blanches en nuit profonde
Malgré ces fragilités, l'Ordre note que 96 % des territoires sont restés couverts les week-ends et jours fériés et 95 % en soirée de semaine (20 heures/minuit) ; en revanche, ce taux s'effondre à 23 % en nuit profonde (0h-8h).
Pour les territoires où l’effection était assurée uniquement par les services de l’Aide médicale d’urgence (AMU), faute de ligne de garde, l'enquête parle de « zones blanches ». Elles représentent donc 4 % des territoires le week-end et jours fériés, 5 % en soirée et désormais 77 % en nuit profonde (+ 4 %). En 2021, 35 départements n'étaient plus du tout couverts en nuit profonde, soit six départements supplémentaires, note le Cnom. La faible activité sur ces plages d'horaires et la difficulté à mobiliser les volontaires sur ces créneaux expliquent cette situation. « Il y a peu d'appels en nuit profonde, confirme le Dr Labarrière. Les situations rencontrées peuvent être gérées par le Samu. »
Taux de couverture des territoires de PDS en nuit profonde (de minuit à 8h) en 2021

Une mission gérée par les généralistes libéraux
Basée sur le volontariat depuis 2002, la permanence des soins reste très majoritairement assurée par les généralistes libéraux exerçant en cabinet (88 %, en baisse de 1 % par rapport à 2020). La part des praticiens salariés en centre de santé a augmenté d’un point et s’élève désormais à 2 %. La part des remplaçants exclusifs était de 6 % en 2021 et reste stable depuis 2018.
Selon l'enquête, les médecins qui participent aux gardes sont majoritairement des hommes (66 % des régulateurs, 55 % des effecteurs), même si la proportion de femmes a augmenté de sept points depuis trois ans. Les gros bataillons de volontaires (61 %) sont âgés entre 35 et 59 ans, 15 % ont moins de 35 ans et 24 % plus de 59 ans.
Le SAS devra faire ses preuves
Sur les 22 départements qui ont mis en place le service d'accès aux soins universel (SAS), la moitié estime ne pas être en mesure d’évaluer l’impact sur l’accès aux soins en raison de « l’immaturité des projets et du manque de recul nécessaire ». Néanmoins, 48 % ont constaté une hausse de l'activité aux horaires de la PDS-A. Le principal obstacle mentionné, là encore : la mobilisation des effecteurs. Plusieurs syndicats jugent les tarifs insuffisants.
Les Ordres départementaux questionnent le volontariat
Dans ce contexte, comment améliorer la situation au sein de chaque département ?
Interrogés, les conseils départementaux de l'Ordre des médecins (CDOM) désignent prioritairement (65 %) les mesures incitatives (défiscalisation élargie à tous les secteurs, valorisation des actes en visite), la mise à disposition de transports dédiés (57 %), des actions de communication grand public (57 %) ainsi que… la remise en cause du principe du volontariat (44 %). Cette dernière proposition est en hausse par rapport à 2020. Mais l'idée ne séduit guère l'expert PDS-A de l'Ordre national. « Il y a certes des tensions dans plusieurs départements et la situation va continuer à se dégrader, reconnaît le Dr Labarrière. Les pouvoirs publics peuvent siffler la fin de la récré et changer la loi pour revenir sur le volontariat. Mais c'est dangereux et les méthodes coercitives seraient contreproductives ».
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