LE QUOTIDIEN – Nicolas Sarkozy érige la médecine de ville au rang de priorité nationale au lendemain des régionales. Reliez-vous son geste à la désaffection des médecins pour la majorité présidentielle telle que vous l’avez vous-même mesurée au début du mois de mars ?
FRÉDÉRIC DABI – Oui. Nous sommes là tout à fait clairement face à un discours de remobilisation électorale. Le président veut garder le cap des réformes mais il donne des gages à des segments électoraux, à des catégories de la population – les agriculteurs, les médecins –, qui votent traditionnellement à droite mais s’en sont détournés et ont fait part de leur insatisfaction sur la période récente. Quand nous avons interrogé les médecins il y a quelques semaines, leurs intentions de vote atteignaient 33 % pour les listes UMP et Nouveau Centre (exactement d’ailleurs le score réalisé par la droite au second tour) : c’est ridiculement bas rapporté aux intentions de vote des mêmes médecins en 2007 – 75 % annonçaient qu’ils allaient voter pour Nicolas Sarkozy au second tour. On peut remarquer aussi que le président s’adresse spécifiquement aux médecins libéraux qui, dans notre dernier sondage, étaient beaucoup plus sévères pour la politique de santé du gouvernement (79 % de jugements négatifs) que les hospitaliers (67 %).
Vous sondez depuis longtemps et régulièrement l’opinion politique du corps médical. Pensez-vous que le fossé entre celui-ci et la droite soit aujourd’hui particulièrement profond ou bien que le désamour est passager ?
La pente sera difficile à remonter. Nous n’avons pas mesuré de désaffection pareille depuis 95-97 et le plan Juppé. Chez les médecins libéraux, la politique de santé de Nicolas Sarkozy est passée en deux ans et demi d’un jugement positif à 57 % à 21 % de satisfaction : une chute de 36 points, c’est énorme ! La perte de confiance est personnifiée aussi par Roselyne Bachelot, passée de 62 % d’opinions favorables à… 18 %, ce qui est terrible ; 49 % des médecins libéraux ne font même « pas du tout confiance » à la ministre de la Santé. Le socle des réfractaires est devenu très vite très important. Je pense que les dégâts sont profonds et durables.
Quand on interroge les politiques, ils disent toujours que non, le vote des médecins ne leur fait pas peur, qu’il s’agit d’un vieux fantasme. Est-ce de l’intox ?
C’est vrai que quantitativement, tout comme les agriculteurs d’ailleurs cités mercredi par Nicolas Sarkozy (2% de la population), les médecins ne sont pas une clientèle importante. Rien à voir sur ce plan avec les ouvriers, les jeunes ou les personnes âgées… Mais ils restent un vrai relais d’opinion et représentent à ce titre un double segment électoral : une catégorie qui vote à droite traditionnellement et qu’il faut soigner ; des professionnels qui bénéficient encore, en dépit de la dévalorisation de leur statut, d’une aura très forte dans l’opinion. Leur cote de confiance est gigantesque (97 % des Français déclarent avoir confiance en leur médecin). Même si on n’est plus sous la IIIe République et son trio d’influence médecin-instituteur-curé, les médecins restent une vraie catégorie leader et un relais d’opinion ; ils peuvent faire passer des messages.
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