Le meurtre de son fils dans la rue, en 1996, a conduit le Dr Michel Bourgat à s’occuper de jeunes hyperviolents. La politique l’a déçu. « Le climat se dégrade depuis cinq ou six ans, expose l’adjoint (UMP) au maire de Marseille. La violence surgit jusque dans le soin ».
Quatre femmes généralistes ont repris son cabinet, au cœur de la Belle-de-Mai. Un quartier populaire qui s’est appauvri depuis la fermeture d’une manufacture de tabac. Sur la place, le marché provençal vend de la viande halal. Les fenêtres du cabinet donnent là, sur les étals colorés. Du mobilier sommaire, chaque pièce fermée à clé, contre la fauche. Début septembre, un incident est survenu. « J’étais seule cet après midi-là, relate l’une des quatre consœurs. Un toxicomane s’est énervé, il trouvait le temps long. Quand son tour est venu, il a exigé une ordonnance sécurisée. J’ai refusé. Il s’est levé, m’a donné un grand coup que j’ai esquivé, et des coups de pied dans la porte ». Le commissariat a refusé la plainte faute de preuves matérielles. Incompréhension et amertume : « Les policiers ne se déplacent pas pour un patient violent. Mais pour enlever les voitures sur la place du marché, ça, oui! ».
Peu de spécialistes libéraux.
Les quatre généralistes envisagent de poser des caméras dans la salle d’attente, espérant un effet dissuasif. Sans grande conviction. « Il ne faut pas montrer aux gens qu’on a peur, considère la plus jeune de l’équipe. Ce qui est arrivé l’autre jour fait partie des risques du métier. J’ai grandi dans ce quartier, je travaille sereinement. Il y a beaucoup à faire, car il n’y a pas de gynécologue ». Ni d’ophtalmo, complète un pharmacien de la Belle-de-Mai. « Le dernier parti n’a pas été remplacé. C’est le problème du quartier », regrette-t-il.
Plus au nord, le parc Kallisté rime tristement avec insalubrité. Un autre pharmacien y dresse le même constat : « Il n’y a pas une gynéco ici. Il faudrait vingt généralistes, il y en a trois ». Alain Lascar dédramatise avec humour. « Je suis le seul lascar de la cité! ». Reste que son chiffre d’affaires plonge. Alain Lascar s’est beaucoup investi dans la cité. Il a levé des fonds pour refaire le bitume, les façades. Dans deux ou trois ans, le sexagénaire voudrait vendre « quelque chose de propre ». « Si la pharmacie ferme, tout le quartier devient un désert ». Les incivilités sont monnaie courante, mais la violence, dit-il, reste à la porte de son commerce. La police, pourtant, ne vient jamais par ici. « Les trafics se font autour de la pharmacie, observe Alain Lascar. Dedans, on gère. Les jeunes nous connaissent ». Avec ses 15 ans de rugby et ses 90 kilos, le pharmacien en impose. Tous les professionnels de santé n’ont pas forcément ses arguments, ni son goût pour les quartiers sensibles.
Le respect du médecin en chute libre.
Même chez les passionnés, la tentation de dévisser guette parfois. L’unique rhumatologue libéral du 14e arrondissement s’est vraiment interrogé en janvier dernier. Le fils d’une patiente, trop impatient, lui a ouvert l’arcade d’un coup de tête. « Il n’y a plus de respect. Le médecin est vu comme du self-service », se désespère le Dr Philippe Aba. Il ne se voit pas abandonner sa patientèle, toutes ces vieilles dames qui viennent sans sac à main, un chèque coincé dans le soutien-gorge. Le cabinet se trouve dans un site classé, architecture métallique et intérieur art déco. En zone franche. Tout autour, des HLM gris, vue sur mer. Et ce climat lourd, propre aux quartiers nord. « Le soir, je file vite avec la voiture. Je ne marche jamais dans la rue », relate le Dr Aba. À l’accueil, les secrétaires médicales sont sous pression. « Les gens veulent tout, tout de suite. Ils se croient chez Carrefour, glisse l’une d’elles. Avant, le Canet était pauvre mais tranquille. Ça s’est détérioré en quelques années ».
Il y a peu, le cabinet médical a été visité la nuit (11 spécialistes y exercent), les ordinateurs ont disparu. Le Dr Aba n’a ni arme, ni bombe lacrymogène. Depuis le cambriolage, il ne vient plus le week-end. « On voudrait un vigile en permanence, des rondes policières. J’aimerais des étudiants en stage aussi. Ça ne les intéresse pas. Il n’y a pas de relève ».
Le président de l’URPS (Union régionale des professionnels de santé) en région PACA n’a pas de solution miracle. « De nombreux confrères ne vont plus dans les cités, constate le Dr Jean-François Giorla, généraliste. En 2005, Marseille n’a pas cramé. Mais depuis, la violence déferle en totale impunité. Il faudrait montrer qu’agresser un médecin, c’est grave. Le problème n’est pas médical, mais sociétal et politique ».
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