Elisabeth Hubert rend son rapport demain à Sarkozy

« Il n’y a pas de temps à perdre »

Publié le 25/11/2010
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Crédit photo : S Toubon

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LE QUOTIDIEN – En rendant demain votre rapport à Nicolas Sarkozy, qu’allez-vous lui dire : « On peut encore sauver la médecine de proximité » ou « C’est foutu monsieur le président » ?

ÉLISABETH HUBERT – Ce n’est pas foutu mais il n’y a pas de temps à perdre. Quand Nicolas Sarkozy m’a confié cette mission, je ne pensais pas que la situation était grave à ce point. Il y a une vraie fracture avec le monde de la santé mais elle peut être réparée. Il va falloir témoigner d’une grande volonté. La balle est maintenant dans le camp du président de la République et du gouvernement. Le seul moyen de rendre confiance et envie d’exercer aux médecins est d’agir.

Quelles sont selon vous les 3 ou 4 mesures qui doivent être prises de toute urgence ?

Mon rapport n’est pas un catalogue de propositions mais il a une ligne directrice. Aujourd’hui, notre organisation de la santé repose sur des professionnels compétents mais mal utilisés. Il est urgent de changer la donne en essayant d’optimiser le temps médical, de recentrer les professionnels sur leur valeur ajoutée. On ne fait pas suivre trois ans d’études aux infirmières pour leur faire réaliser des soins d’hygiène.

Vous portez un regard très sévère sur la formation des médecins « trop hospitalo-centrée ». Comment souhaitez-vous la remettre totalement à plat ?

La formation est un élément fondamental de mon rapport. Elle peut permettre d’inverser la tendance – et peut-être même d’avoir dans 20 ans une majorité de médecins qui veulent faire de la médecine générale !

Il faut impérativement présenter aux étudiants la diversité de la médecine et pas uniquement la représentation des CHU. Aujourd’hui, les seules personnes qui enseignent en médecine sont issues des CHU. Or être médecin, c’est aussi exercer en libéral, être médecin du travail, en PMI ou en santé publique. La médecine est hétérogène, elle a de multiples visages. Tous les étudiants en médecine doivent passer par le stage d’initiation à la médecine générale pendant le DCEM. Or, seulement 1 sur 3 le font. Ce n’est pas normal. La loi de 1958 a vécu. La triple valence doit être ouverte à la diversité de la profession médicale. Réformer les études médicales est une urgence.

Vous êtes une fervente partisane de la filière universitaire de médecine générale ?

Oui, car cette filière est un exemple pour la médecine – même si je suis d’accord pour dire qu’il n’est pas normal que les maîtres de stage ne soient pas plus rémunérés, qu’il n’y ait pas plus de professeurs de médecine générale ou de chefs de clinique.

Et au-delà de cet enrichissement de la filière, il va falloir que mes confrères médecins généralistes s’impliquent plus dans cette ouverture aux jeunes. Si on veut sauver la médecine générale, l’ensemble de la profession va devoir se retrousser les manches.

Vous plaidez également pour une réforme de l’internat ?

Il faut revoir la formation pratique des internes. Un seul stage de médecine générale pendant l’internat avec un étudiant sur trois qui fait son stage en autonomie (SASPAS), cela ne me satisfait pas – ce SASPAS devrait d’ailleurs devenir obligatoire.

Vous ne souhaitez pas l’allongement de l’internat de médecine générale ?

Je ne suis pas pour un rallongement perpétuel des études de médecine et, notamment, j’estime qu’il serait ridicule de rajouter une 4e année d’internat sans avoir revu l’ensemble de la formation telle qu’elle existe aujourd’hui. Ce qui est par contre vrai, c’est qu’il peut y avoir un intérêt réel à instaurer une seniorisation pendant le 3e cycle afin de mettre les étudiants dans une plus grande autonomie qu’en SASPAS. Ces internes seniors pourraient être mis en appui dans des régions où l’on a besoin de médecins. Il n’y a rien de coercitif. Ces gens seraient payés, ils pourraient être logés et leur transport pourrait être rémunéré. Nous voulons les sensibiliser à l’exercice en zone sous-dotée pour leur montrer que ce n’est pas forcément si terrible que ça. Cette réforme devra être planifiée. Elle ne pourra pas se mettre en place l’année prochaine, on ne change pas les règles du jeu en cours de route.

Je souhaite enfin modifier les épreuves classantes nationales et y intégrer les notes des examens antérieurs et des stages. Je veux étendre la dimension de cet examen pour faire en sorte que cet internat ne soit pas un élément de polarisation. Par ailleurs, cet examen ne doit plus être national mais interrégional.

Cela revient à retourner à l’ancien concours de l’internat ?

Non puisque je suis bien évidemment pour un internat de médecine générale ! En revanche, pour aller plus loin dans la réforme, il est nécessaire de réduire les études du DCEM et les faire passer de 6 à 5 ans. Cela permettrait de faire entrer les études médicales au cursus européen du LMD (Licence master doctorat) et d’avoir des passerelles plus importantes au bout de 3 ans et de 5 ans. Tout cela se déploiera dans le temps. Cela ne peut se faire que pour les étudiants qui entreront en médecine en 2011 ou éventuellement pour ceux qui redoubleront leur 1ere année de médecine et qui ne seront pas engagés en PCEM2.

Vous mettez également l’accent sur l’informatisation du système de santé.

C’est ma deuxième priorité. Je suis effarée par ce que j’ai vu au cours de mes déplacements. Nous avons des années lumière de retard ! Les maisons et les pôles de santé, par exemple, utilisent des logiciels "un peu" médicaux ; les médecins y ont accès mais les infirmières ne peuvent pas s’y brancher ; il n’y a pas d’interopérabilité et le médecin généraliste qui intervient aussi à l’hôpital local doit entrer dans les systèmes deux fois les mêmes données… Il faut s’appuyer sur le Grand Emprunt pour mettre en place un plan ambitieux s’adressant à TOUS les professionnels de santé. Les futurs systèmes devront intégrer des fiches de synthèses médicales, des messageries sécurisées – arrêtons d’ailleurs de fantasmer à ce sujet, la Santé devrait être capable de réaliser ce que le monde de la défense ou celui de la finances arrivent à faire. La puissance publique doit financer ce chantier grâce auquel on va disposer d’une masse de données. L’idée est de dire aux médecins : je vous mets à disposition le matériel, de la maintenance, éventuellement l’aide d’un technicien d’information médicale, comprenez qu’en échange, je m’intéresse à l’exploitation des données. Pour cette tâche, je suis assez favorable à l’installation d’un opérateur qui, sur le modèle de l’ATIH [Agence technique de l’information sur l’hospitalisation, NDLR], extrait les données et les distribue aux caisses, aux URPS [unions régionales des professionnels de santé], aux ARS [agences régionales de santé].

N’est-ce pas un énorme défi, si l’on se souvient des difficultés qu’a posées – et continue de poser – l’informatisation des cabinets médicaux, décidée en 1996 ?

Ma plus grande crainte est plutôt qu’on engage les médecins dans un dispositif dont ils ne voient pas l’utilité. Il faut que les systèmes d’information que l’on met en place soient facilitateurs pour eux, qu’ils y trouvent des éléments d’appropriation et que cela aide à la dématérialisation de tâches administratives. Quant à la télémédecine, il faut lever les obstacles juridiques et surtout rémunérer l’activité, ce que ne prévoit pas la réglementation pour l’instant.

LA PROFESSION VA DEVOIR SE RETROUSSER LES MANCHES

Formation et informatisation sont des projets à longs termes. Proposez-vous des mesures de portée plus rapide ?

Oui, je défends plusieurs mesures structurelles qui passent par de nouveaux modes de pensée. Les coopérations entre professionnels en sont l’exemple le plus patent. Il faut les faciliter en révisant les référentiels métiers, en rémunérant la coopération, en précisant les règles de responsabilité appliquées à chacun des professionnels engagés et en certifiant les équipes. On peut imaginer que les professionnels ainsi labellisés pourront avoir des obligations considérablement allégées en matière de DPC [développement professionnel continu].

Les maisons et les pôles de santé pluridisciplinaires devront également être mieux accompagnés : leur environnement juridique a besoin d’être sécurisé, leur viabilité économique doit être garantie. Il faut y développer une dimension sociale (pourquoi pas une assistante sociale à temps partiel ?), actuellement pas suffisamment prise en compte.

En matière de rémunération, vous proposez trois niveaux. Comment les découpez-vous ?

Je propose en effet : un paiement à l’acte gradué ; un forfait pour les soins coordonnés et le paiement de la structure. Dans le détail, je considère qu’on ne peut plus payer le même prix pour une consultation, quelle que soit sa complexité ou sa durée – ce que l’on fait aujourd’hui avec un C assorti de majorations qui vont dans tous les sens. Je crois qu’il faut 4 ou 5 tarifs qui seraient nourris par la CCAM clinique – on pourrait avoir un acte simple, payé peut-être moins que le C actuel, mais on pourrait par contre payer 60 euros pour un acte quand il vaut bel et bien ces 60 euros. Au total, les revenus nets des médecins ne seront peut-être pas plus élevés mais, au moins, ils arrêteront de régresser.

Ceci étant, mettre en œuvre ces nouvelles rémunérations sans faire le reste serait une ânerie. Si cela traversait l’esprit des décideurs, je serais d’ailleurs la première à leur dire : ne le faites pas ! Parce que, dans mes propositions, tout s’emboîte. Pour les formuler, j’ai détricoté la situation existante. On ne peut pas aller y faire son marché.

Quelle position avez-vous adopté vis-à-vis de la liberté d’installation ?

Je dis qu’on n’a pas utilisé tous les outils. On a pensé « finances » alors que le problème n’est pas financier. Quand on gagne 60 000 ou 70 000 euros, ce ne sont pas 5 000 euros qui font la différence – d’autant que les médecins installés dans des zones sous-médicalisées vous disent qu’ils travaillent beaucoup et qu’ils n’ont pas le temps de dépenser leur argent ! L’aide à l’installation doit être non seulement financière mais aussi organisationnelle, je pense au compagnonnage, à la formation à l’exercice libéral. Tout cela dédramatise. Il faut aussi que les médecins sachent que quand ils s’installent, ce n’est pas pour la vie. Pour cela, on peut imaginer de solvabiliser leur investissement s’ils mettent de l’argent dans une maison de santé. Je suis pour la création d’un fonds, géré par exemple par la caisse des dépôts et consignations, qui jouerait ce rôle de tampon et garantirait aux médecins de récupérer leur mise quand ils décident d’aller exercer ailleurs. Dans l’intervalle, il faut des mesures temporaires : l’exercice des professionnels dans les territoires déjà désertifiés en médecins doit par exemple être reconnu « de service public ».

Ce que vous proposez, c’est la dernière chance avant la coercition ?

Oui, absolument. Mais les médecins ont besoin non seulement de discours mais d’actes.

 PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE GATTUSO ET KARINE PIGANEAU

Source : Le Quotidien du Médecin: 8863