LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Quand avez-vous décidé de lancer le dispositif et pour quelles raisons ?
Pr MARIE FAVROT - La décision de mettre en place un système de vigilance a été prise il y a six mois en concertation avec la DGS (Direction générale de la santé) et c’est la loi Hôpital patients santé et territoire qui, en juillet 2009, nous a confié cette nouvelle mission. Elle part d’une constatation : la consommation des CA augmente chaque année, alors que, d’une part, l’on manque d’études qui permettent de montrer leur innocuité lors d’une prise régulière et prolongée et que, d’autre part, sont rapportés des accidents aigus.
La prise des CA correspond-t-elle à des situations de carence alimentaire ?
Nous avons rendu ces dernières années des avis pour signaler les situations pour lesquelles, sans parler de carence, on observe en effet des déficits pour certains vitaminés et minéraux, dans certains sous-groupes de population : personnes âgées, enfants, femmes enceintes. L’AFSSA recommande que, dans ces cas précis, la prise de compléments alimentaires s’effectue sous conseil médical.
Pour la population générale, dès lors que l’alimentation est équilibrée, aucun déficit, aucune carence ne justifie la prise de ces produits.
Vous les déconseillez ?
Nous n’allons pas jusque-là, mais nous encourageons les consommateurs à se comporter de manière raisonnable. Ce message est d’autant plus nécessaire que, en cas de prise au long cours, nous ne pouvons exclure les effets secondaires.
Vous comptez donc documenter le risque chronique ?
Non, notre dispositif ne concerne pas les accidents chroniques ; ceux-ci ne peuvent être mis en évidence qu’à l’aide d’études épidémiologiques longues ou de travaux expérimentaux chez l’animal. L’exemple typique, c’est le bêta-carotène chez les sujets à risque de cancer du poumon que sont les grands fumeurs : il augmente le risque de développement cancéreux, contrairement à l’idée reçue d’une possible protection.
En fait, avec notre système, nous voulons mettre en évidence des accidents aigus ou subchroniques qui se développent après deux ou trois semaines de prises de produits. Ces anomalies, soit biologiques, soit cliniques, relèvent de trois facteurs :
– le mésusage : des erreurs de lecture d’étiquettes induisent des erreurs de délivrance de médicaments. Ces accidents sont potentiellement graves : certains, en raison d’appellations proches de compléments alimentaires, ont pu être confondus et pris à des doses élevées. Les conséquences peuvent être graves ;
– les fraudes : des produits médicamenteux sont introduits dans les compléments alimentaires, soit à l’attention du public sportif, avec des visées dopantes, soit pour des régimes ;
– la toxicité des principes actifs contenus dans ces produits. C’est particulièrement vrai avec les extraits de plantes, au sujet desquels l’agence a rendu un avis en 2003 ; les propriétés de ces extraits dépendent de la plante elle-même, du lieu de sa culture, du procédé d’extraction si bien qu’en définitive, le même vocable désigne des produits qui ne sont pas équivalents.
Dispose-t-on d’indications sur le degré de gravité de ces accidents ?
Le plus souvent, ils sont réversibles à l’arrêt de la prise. Un bon signe du lien entre l’accident et les CA, à cet égard, est apporté par la réapparition des symptômes avec de nouvelles prises de CA. Toutefois, sur un terrain sous-jacent, les accidents pourraient ne pas être réversibles.
FACE À UNE PATHOLOGIE ATYPIQUE, MENER L’ENQUÊTE
Quel message voulez-vous délivrer aux généralistes ?
Notre démarche est étroitement dépendante de la prise de conscience des médecins généralistes ainsi que des nutritionnistes. Face à une pathologie atypique, nous les invitons à mener un interrogatoire sur les modes alimentaires, et à mener l’enquête pour mettre en évidence un lien potentiel entre cette symptomatologie et la prise de compléments alimentaires.
Évidemment, nous savons que les médecins sont sollicités de toute part. Nous sommes bien conscients que nous leur demandons de réaliser une investigation supplémentaire, qui nécessite de leur part de consacrer plus de temps au malade. Cette investigation est d’autant plus délicate à mener que les patients ne sont guère prolixes sur ce sujet ; il rejoint les pratiques d’automédication. Par nature, les patients n’en réfèrent pas spontanément à leur médecin traitant.
Dans quels cas le médecin doit-il s’inquiéter ?
Chaque fois qu’une symptomatologie est dépourvue d’explication, il convient de rechercher une cause atypique. La prise de compléments alimentaires en est une. Tout type de trouble peut être évocateur : troubles digestifs, hépatiques, cardiaques (tachycardie), d’anomalies d’hypotension ou d’insuffisances rénales cliniques ou biologiques.
Pratiquement, comment allez-vous mener ce programme ?
Les professionnels de santé sont invités à retourner à l’AFSSA un questionnaire en ligne ou par courrier ; selon une première analyse rapide, avec, si besoin, un appel téléphonique que nous passerons au médecin, nous notifions à nos tutelles les accidents d’une particulière gravité. Les autres cas font l’objet d’une analyse par un comité technique au sein duquel seront représentés les centres de toxicovigilance, l’AFSSAPS (sécurité des produits de santé), l’InVS (veille sanitaire), ainsi que l’AFLD (lutte contre le dopage). Des renseignements complémentaires pourront alors être demandés au fabricant, avant que nous rendions notre avis sur l’événement, sa gravité et son imputabilité aux CA. Et que les tutelles adoptent les mesures qui s’imposent.
L’Europe semble absente sur ce terrain.
En l’absence de démarche européenne, la France a en effet un rôle moteur. On pourrait souhaiter, que, à l’instar de ce qui se passe pour le médicament, une coordination soit mise en place par l’UE. Pour l’heure, l’Europe, par la législation de 2002, a rattaché les CA aux aliments. C’est un aliment, certes, mais il contient des produits actifs qui peuvent le rapprocher d’un médicament en termes de toxicité potentielle.
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