CE SONT les derniers chiffres communiqués par l’assurance-maladie : les deux tiers des « premières promotions » du contrat d’amélioration des pratiques individuelles à adhésion volontaire (CAPI, proposé dans les cabinets au cours de l’été 2009) ont atteint leurs objectifs au bout d’un an et perçu en contrepartie une prime (voir encadré) dont le montant moyen s’est élevé à 3 101 euros (« le Quotidien » du 20 septembre). Évidemment, ce tableau peut être vu sous un autre angle et se lire ainsi : un tiers des premiers contingents du CAPI n’ont pas rempli leurs objectifs et n’ont donc pas touché ce qui leur avait été parfois vendu au départ par l’assurance-maladie comme « le treizième mois du généraliste ». À la fin de l’été, quelque 1 700 médecins se sont retrouvés dans ce cas de figure.
De même que grossissent progressivement au fil des mois la cohorte des médecins engagés dans le dispositif (ils étaient 5 000 à la fin de l’été 2009, 14 800 au début du mois de septembre 2010), celle des médecins dans les clous s’épaissit tout comme celle... des « déçus du CAPI ». Le phénomène est difficile à mesurer. D’abord parce que, gagnants ou perdants, les médecins se vantent peu d’avoir rejoint un système décrié dès son entrée en vigueur par la profession tout entière (à commencer par les syndicats médicaux et par l’Ordre). Ensuite parce que le caractère non conventionnel du CAPI les place dans une position isolée face à l’assurance-maladie et que tous n’ont pas le courage, le temps ou l’envie de se lancer dans un bras de fer. Néanmoins, les premiers « recalés de la prime » commencent à se manifester.
À MG-France, où une cellule CAPI-Secours a été mise en place au printemps dernier, on n’est pas très surpris d’enregistrer des doléances mais on l’est un peu plus de leur ampleur. « Depuis 15 jours, les appels montent en flèche, je ne m’y attendais pas, constate le Dr Gilles Urbejtel qui pilote cette structure. Nous avons une vingtaine de réclamations de gens qui se plaignent et qui se plaignent à raison. Beaucoup me disent que c’est de l’arnaque. » De quoi parlent ces médecins déçus ? Du choix et de la pertinence des indicateurs, de la fiabilité de leur mesure.
Cas pratiques.
« Un médecin me dit qu’il remplit toutes ses ordonnances en DCI mais que son bilan CAPI affirme que son taux de prescription d’antibiotiques en génériques est de 35 %, rapporte le Dr Urbejtel. Je lui explique que ce qui est compté, c’est ce qui est délivré par le pharmacien, que la Sécu se base, pour vérifier les objectifs du médecins, sur les chiffres du remboursement des patients. » Autre exemple : les mammographies effectués par les patientes âgées de 50 à 74 ans. Sur cet item, « l’apprenti capiste » se heurte à plusieurs écueils. Celui, d’abord, qui veut que la mammographie soit une exception au parcours de soins (les patientes peuvent se soumettre à cet examen sans passer par la case « médecin traitant ». Il y a aussi le fait que l’assurance-maladie utilise, pour construire son indicateur, le numéro de Sécurité sociale des patientes ; conséquence, si une patiente a son mari pour ayant droit, la non-mammographie de l’époux va faire tache dans les bons chiffres du médecin capiste. Bug sur le gâteau : « Un médecin qui n’avait pas rempli ses objectifs pour la mammographie a demandé à sa caisse de lui communiquer la liste des patientes qu’il lui fallait engager à passer cet examen, la caisse a refusé, arguant qu’elle n’en avait pas le droit ! », s’indigne Gilles Urbejtel.
Et puis avant même les savants calculs, se pose la question, dit-il, du contexte dans lequel vient se signer un CAPI. « Il n’y a pas d’analyse populationnelle, regrette-t-il. En fixant ses objectifs au médecin, personne ne se demande s’il soigne beaucoup de diabétiques ou d’hypertendus compliqués, s’il exerce dans un quartier où les gens sont moins compliants qu’ailleurs... ». Autrement dit, le mode de calcul manquerait de critères de pondération.
À la cellule CAPI-Secours de MG-France, on tire les premières leçons de ces cas d’espèce. « Comment ce système peut-il fonctionner, alors que la caisse est à la fois celle qui fixe les indicateurs, celle qui les mesure et celle qui paie ? », s’interroge le Dr Urbejtel. Il mesure aussi la déception de ceux qui n’ont rien touché à l’aune de l’opération séduction menée au départ par l’assurance-maladie. « N’oublions pas que le CAPI n’a pas été proposé à tout le monde. On a dit aux médecins "Vous êtes dans les chiffres ou tout près", ils ont été très alléchés... et se retouvent donc un peu maris quand on leur explique qu’ils n’ont pas rempli leurs objectifs. Surtout quand ils ont fait des efforts. » De fait, dans toute la phase de lancement du CAPI, la CNAM s’est volontairement adressée en priorité aux médecins très proches des objectifs fixés, l’idée étant bien sûr d’encourager le bouche à oreille au moment du versement des premières primes. Plus dure est donc la chute, comme en témoigne ci-dessous le Dr Patrick Benier qui s’apprête à jeter son contrat avec l’eau du bain.
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