C’EST UN DÉBAT de trois ans que Roselyne Bachelot vient de refermer (provisoirement ?), jalonné de polémiques en rafale et de contorsions politiques. C’est aussi un virage à 180 degrés.
En deux phrases, prononcées lors du congrès de médecine générale, à Nice, la ministre de la Santé a jeté aux orties une des mesures emblématiques de « sa » loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) pour combattre la désertification médicale (du moins présentée comme telle), le contrat santé solidarité, fruit d’un long compromis parlementaire censé avoir donné des gages aux élus ruraux et aux patients sans attaquer directement la liberté d’installation (« le Quotidien » du 28 juin). Même s’il n’était pas applicable avant 2012, ce contrat était vivement critiqué dans les rangs médicaux. Par ce dispositif, les médecins des zones surdotées s’engageaient à prêter main-forte à leurs confrères des zones fragiles proches (par des vacations, des consultations médicales avancées, un cabinet secondaire, une implication dans la PDS). Un projet de décret (le texte n’a jamais été publié) avait fixé cette obligation à quatre demi-journées d’au moins quatre heures par mois. Les médecins refusant de signer ce contrat s’exposaient à une pénalité maximale de 3 000 euros. La CSMF notamment avait mené campagne pendant des mois contre la « taxe Bachelot ». Aux yeux de beaucoup, ce montage aurait été très difficile à mettre en place sur le terrain...
À Nice en tout cas, Roselyne Bachelot a refermé la parenthèse privilégiant les « mesures incitatives ». « J’ai décidé de mettre en œuvre un contrat entre l’ARS [Agence régionale de santé] et les médecins, basé sur le volontariat. Des contreparties seront proposées aux médecins qui s’engagent à exercer dans une zone sous-dotée plusieurs demi-journées par semaine », a-t-elle tranché. Quid ducontrat santé solidarité inscrit noir sur blanc dans la loi ? La mise en place du nouveau système incitatif (aucun calendrier n’est précisé) permettra de ne pas y recourir, évacue la ministre.
Victoire de la carotte.
Dans le feuilleton de la lutte contre les déserts médicaux, qui voit le balancier osciller entre contrainte et incitation, l’abandon du contrat santé solidarité – mais aussi du signalement obligatoire des congés (voir encadré) – semble signer le retour victorieux de la carotte au détriment du bâton. Le message est simple en ces temps de reconquête du monde médical : plus question de « taxe » et d’obligation, place aux incitations et au volontariat « J’ai préféré la confiance et la responsabilité aux dispositifs contraignants », a résumé la ministre à Nice. L’opération, un peu trop belle pour être vraie, a été diversement appréciée par les syndicats. Si MG-France salue l’abandon de mesures « vexatoires » etsi la FMF « se félicite de cette décision », la CSMF estime que le danger n’est pas levé (dès lors que la loi n’est pas abrogée) tandis que le SML ironise sur le « pouvoir de communication de la ministre ». Quant à la branche « jeunes médecins » de la Confédération, elle épingle le pilotage erratique de la démographie médicale. « La politique menée depuis des années devient exaspérante, elle consiste à proposer des mesures ridicules pour les retirer un an plus tard, et entre temps on organise une série de missions, de rapports en tous genres, qui ne servent à pas grand-chose. La plèbe est occupée mais sur le terrain rien ne s’améliore. »
L’histoire récente est certes riche de rebondissements en la matière. En septembre 2007, des déclarations fermes de Nicolas Sarkozy remettant en cause la liberté d’installation et soulignant l’obligation de trouver des solutions rapides avaient ravivé la polémique. On connaît la suite : fronde des internes, six mois de discussions dans le cadre des états généraux de l’organisation de la santé (EGOS, conclus en avril 2008), reprise avortée des négociations conventionnelles (sans accord possible sur la démographie) et enfin loi HPST (adoptée en juillet 2009) instaurant le contrat santé solidarité, nouveau tollé médical… Jean-Marie Rolland, député UMP auteur de l’amendement sur le contrat santé solidarité, adopté après des heures de débat, cache à peine son amertume. « C’était quand même un texte de compromis qui permettait aux élus des territoires ruraux de revenir dans leur circonscription expliquer aux gens qu’on ne les laisserait pas tomber, qu’on leur garantissait une présence médicale dans les zones fragiles. Là, on revient en arrière… Cela pose de nouvelles questions davantage que ça n’apporte de solutions ». Le trouble n’épargne donc pas la majorité.
De fait, quelle forme prendra le nouveau contrat incitatif entre l’ARS et les médecins volontaires ? Quelles seront les contreparties proposées à ceux qui acceptent de faire des vacations... plusieurs fois par semaine ? Y aura-t-il un corps de médecins « volants », constitués des médecins installés qui acceptent la mobilité, mais aussi des remplaçants ou des retraités actifs volontaires ? À quelle échéance ? Nul ne le sait d’autant qu’Élisabeth Hubert (lire aussi ci-dessous) doit rendre en octobre son propre rapport sur la médecine de proximité, commandé par Nicolas Sarkozy. « Même si le ministère tente par tous les moyens de recoller les morceaux, cela donne le sentiment d’une incroyable improvisation, analyse un leader syndical. Ce gouvernement navigue à vue. »
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique