Surveillance des malformations néonatales

Le pionnier des registres dans la tourmente

Publié le 18/01/2012
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Crédit photo : PHANIE

LA POLÉMIQUE est à la hauteur de la gravité du sujet de recherche de REMERA. Le registre, fondé après le scandale du thalidomide, antinauséeux responsable de la naissance d’enfants présentant de nombreuses malformations (absence ou atrophie des bras et des jambes) dans les années 1960, travaille depuis 1973 sur les malformations congénitales. À son actif, on peut citer qu’il a permis d’établir le lien entre incinérateurs d’ordures et malformations rénales et qu’il est à l’origine de l’interdiction d’un antiépileptique pour les femmes enceintes. En 2011, il a participé à un programme international sur les malformations rares qui concernent 3 à 4 % des naissances. Aujourd’hui, il est l’un des plus importants registres sur le sujet (la France en compte 5).

Personne n’en conteste l’intérêt scientifique. Pourtant, le comité national des registres (CNR), coprésidé par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), et composé de 22 membres, moitié membres de droit et moitié personnel qualifié, a rendu le 9 décembre 2011, un avis défavorable concernant la requalification de ce registre.

Les arguments exposés dans un courrier du CNR à REMERA sont purement scientifiques. Tout en reconnaissant « l’ancienneté et l’intérêt du registre, tant sur le plan de la surveillance épidémiologique que sur le plan de la recherche », les responsables de l’InVS et l’INSERM contestent l’exhaustivité de la collecte des données et leur manque de valorisation.

Des arguments scientifiques.

« On ne comprend pas ! Ces arguments ne sont pas fondés et nous pouvons rapidement les démonter », rétorque la présidente de REMERA, l’épidémiologiste Emmanuelle Amar. Le registre publie en effet sur son site internet une série de remarques destinées à prouver la qualité du travail effectué. « Parmi tous les registres français - et étrangers, REMERA est celui qui obtient une des meilleures exhaustivités des données », peut-on lire. « On ne peut pas recueillir tous les renseignements que l’on souhaiterait, mais c’est le lot de tous les registres », déplore Mme Amar. « Nous nous basons sur le dossier obstétrical ou pédiatrique du bébé, qui est parfois imprécis, mais nous n’avons pas le droit d’interroger les mères », poursuit-elle. Un second courrier plus détaillé du CNR précise les reproches. Il y serait fait allusion à l’absence de croisement entre données des expositions médicales avec les données de l’assurance-maladie. « Nous croisons nos données avec le service de pharmacovilance des hospices civiles de Lyon, l’assurance-maladie ne peut pas nous fournir ses données », argumente Mme Amar. Quant à la valorisation des données, REMERA a publié 11 études dans des revues internationales entre 2010 et 2011, « ce qui place REMERA en tête de tous les registres de malformations pour le nombre et la qualité de ses publications, comment faire mieux ! » s’interroge Emmanuelle Amar.

Face au travail accompli, la directrice générale du registre ne peut croire à la pertinence des raisons évoquées. « Nous avons eu un audit scientifique qui s’est parfaitement déroulé. On nous déqualifie sous couvert d’arguments scientifiques », dénonce-t-elle. Le financement serait le nerf de la guerre.

Il faut dire que si l’histoire de REMERA est longue, elle est également jonchée d’embûches. Financé depuis sa création par la fondation Groupama et la Mutualité sociale agricole, le registre est obligé de fermer lorsque ces partenaires se retirent en 2006. En janvier 2007, REMERA renaît sous forme d’association loi 1901, sans aucune trésorerie propre. Contrairement à la majorité des 40 autres registres qui existent en France, il ne dépend ni d’un centre hospitalier universitaire, ni d’une unité de l’INSERM et doit trouver par lui-même ses financements. Qualifié par le CNR et subventionné par l’InVS et l’INSERM, il reste à la peine. La moitié des enveloppes tombent 6 mois après le début de l’exercice, l’autre après la publication d’un rapport d’activité (ce qui est le cas pour tous les registres). « Nous avons même eu trois mois de retard sur nos salaires », se souvient Emmanuelle Amar. Ce n’est qu’après la réalisation d’un audit financier de la direction régionale des finances publiques en 2010 qui préconise l’établissement de financements pluriannuels, que REMERA reprend son souffle. L’InVS décide alors d’adosser la gestion du registre aux Hospices civils de Lyon, établissement public qui reçoit les subventions et reverse les salaires.

Inquiétude sur le financement.

Pour REMERA, la perte de la qualification signerait le retour aux vaches maigres. Et à terme, un risque pour la pérennité du registre.

Les tutelles se veulent au contraire rassurantes. Alors que plusieurs associations militantes se sont émues du sort de REMERA, l’InVS et l’INSERM affirment que les subventions restent maintenues pour 2012. « Comme tout registre déqualifié, il y a une proposition d’accompagnement pendant 1 an logistique et organisationnel pour engager une requalification », déclare un responsable de l’INSERM. « Ce n’est pas une décision politique », assure-t-il, en rappelant que les 22 membres qui siègent au CNR n’ont qu’une voix et fondent leur décision sur plusieurs rapports.

« Il y a certes rupture de la convention, qui repose sur la qualification, mais cela ne signifie en aucun cas un arrêt du financement, un nouveau contrat sera signé », confirme, du côté de l’InVS, Isabelle Grémy, directrice du département des maladies chroniques et traumatismes. « REMERA est un très vieux registre dont il n’est pas question de se passer », poursuit-elle. Cet avis défavorable, « qui n’est ni exceptionnel, ni fréquent » aurait davantage un rôle d’avertissement.

Les Hospices civiles de Lyon affirment de leur côté qu’elles n’ont « aucun motif d’inquiétude sur le financement du registre : L’InVS (qui participe à hauteur de 85 000 euros) a assuré son maintien , et les autres institutions (l’INSERM pour près de 40 000 euros, l’AFSSAPS, 30 000 euros, le conseil régional du Rhône Alpes pour 70 000 euros) n’ont pas démenti leur engagement jusqu’à 2013 », nous assure-t-on. Le budget de 2011 de 223 700 euros devrait rester identique ces 2 prochaines années.

REMERA a néanmoins déposé un recours gracieux afin de contester la décision.

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9068