C'était un grand « discours de la méthode », selon plusieurs responsables syndicaux. Sans citer Descartes – mais Maylis de Kerangal, auteure de « Réparer les vivants » – le premier ministre Édouard Philippe a annoncé ce mardi, à l'hôpital Simone Veil d'Eaubonne (Val d'Oise), les grands axes et l'agenda de « la stratégie de transformation du système de santé », sans dévoiler à ce stade de mesures très concrètes.
Aux côtés de la ministre de la Santé Agnès Buzyn, qui n'a pas pris la parole, Édouard Philippe a égrené les « faiblesses » du système de santé français avant de décliner cinq grands chantiers « pour passer d'un système cloisonné, fondé sur les soins curatifs tarifés à l'acte, une course aux volumes et une régulation budgétaire à un système tourné vers la prévention, la coordination, la qualité, l'accès aux soins ».
Miser sur la qualité des parcours
Première pierre de ce chantier, la qualité des soins et la pertinence des actes, priorité déjà évoquée par Agnès Buzyn. « Pourquoi fait-on deux fois plus de césariennes dans les Alpes-de-Haute-Provence ou en Lozère, que dans l'Yonne ou le Loir-et-Cher ? », interroge le chef du gouvernement, soulignant « des variations qui coûtent cher ». D'ici à cet été, les conseils nationaux professionnels (CNP) des différentes spécialités et le Collège de médecine générale devront proposer des actions pour améliorer la pertinence des soins.
Dans la même veine, la Haute autorité de santé (HAS) proposera dès cette année des indicateurs de « qualité des parcours » portant sur les dix pathologies les plus fréquentes, qui seront systématisés en 2019, et intégrés aux travaux sur les modèles de financement. La satisfaction des patients devra être systématiquement mesurée.
Une task force du financement
Si l'acte médical est un acte « important, jamais anodin », son financement a atteint ses limites, trop cloisonné, valorisant la quantité et non la qualité, tranche Edouard Philippe. À l'hôpital, l'enjeu n'est pas de supprimer la T2A mais de « rééquilibrer » le financement, indique Matignon, en y intégrant des objectifs plus collectifs et de nouvelles pratiques de soins ambulatoires et d'hospitalisation à domicile. Des expérimentations de financements innovants interviendront en ce sens, à la faveur de l'article 51 de la loi Sécu 2018.
Au-delà, le Premier ministre annonce « une réforme en profondeur du financement des soins » en France. Une « task force » pilotée par Jean-Marc Aubert, actuel directeur de la DREES, proposera des modèles de financement nouveaux d'ici à la fin 2019. Objectif : la fin de la logique inflationniste et la valorisation des logiques de parcours et de prévention, en ville comme à l'hôpital.
Le financement des soins reposera à 50 % maximum de tarification à l'activité. « On doit travailler pour trouver les 50 % restants », souligne l'ex-maire du Havre. La médecine de ville devra faire ce travail, ce qui commande un vaste chantier de diversification des modes de rémunération (à décliner dans la convention). Enfin, la ministre de la Santé devra formuler des propositions d'ici à cet été pour « améliorer la régulation de l'ONDAM », et notamment celui des soins de ville.
Au passage, le Premier ministre a précisé que les tarifs hospitaliers – à nouveau annoncés à la baisse au grand dam des fédérations hospitalières – intégreraient dès cette année une « forte incitation » à la médecine ambulatoire, au-delà de la seule chirurgie.
Cap sur numérique
Le numérique est le troisième chantier. Alors que la tarification de la télémédecine est actuellement négociée entre l'assurance-maladie et la profession, le chef du gouvernement fixe trois objectifs supplémentaires : « l'accessibilité en ligne pour chaque patient de ses données médicales », la « dématérialisation de l'intégralité des prescriptions » et la simplification du partage de l'information entre les professionnels de santé d'ici à 2022.
Pour y parvenir, une mission désormais unique « E-santé » sera créée au sein du ministère de la Santé. Cette mission coordonnera le pilotage des programmes soutenus par le Grand plan d'investissement, et veillera à la cohérence des projets comme le déploiement du dossier médical partagé (DMP) à l'automne 2018.
Réfléchir sans tabou au numerus clausus
Le quatrième chantier concerne les ressources humaines. Peu de nouveautés ont été dévoilées quant à la formation des futurs médecins. Outre le développement déjà annoncé des pratiques avancées en soins infirmiers, Édouard Philippe a rappelé la mise en place prochaine du service sanitaire des étudiants en santé, qui fera l'objet d'un rapport « ciselé », rendu très prochainement.
Les dysfonctionnements des études de santé devront, en parallèle, être corrigés indique Edouard Philippe, notamment « l'effroyable gâchis de la première année ». Des réflexions seront menées « sans tabou » sur le numerus clausus. Suppression, augmentation, variation : tout est ouvert.
La réflexion se poursuit aussi sur la réforme du deuxième cycle et l'avenir des épreuves classantes nationales (ECN). Des mesures législatives sont attendues au début de l'année 2019.
Améliorer la qualité de vie au travail
Le locataire de Matignon – qui reconnaît la souffrance, le découragement et parfois l'épuisement des soignants à l'hôpital comme en ville – veut redonner du sens à « l'engagement » des personnels hospitaliers. « Un travail doit être mené sur la gestion du changement et des organisations de travail au sein des établissements publics et privés », précise Édouard Philippe.
Un observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé sera installé afin de dresser un état des lieux et de « traiter le mal à la racine ». Objectif : que les drames « qui ont concerné aussi bien des médecins à l'hôpital ou en ville, des internes ou des personnels soignants » ne se reproduisent plus.
Des expérimentations pionnières exemplaires
Dernier chantier : l'organisation territoriale. Au menu, la structuration des soins de ville… par les professionnels eux mêmes, « et non par l'État ». L'exercice isolé doit devenir « l'exception », prévient Edouard Philippe. La méthode proposée est assez originale. D'ici à fin 2018, un appel à projets sera lancé pour identifier « trois à cinq territoires » avec des modèles d'organisation « totalement nouveaux, qui prennent en charge la santé de toute une population ».
La règle est de pouvoir accéder « très vite » aux soins du quotidien, mais aussi, quand c'est nécessaire, aux soins pointus. « Les groupements hospitaliers de territoire constituent une première étape, mais il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont ils se mettent en place », assène le premier ministre.
La méthode ? Trois mois de concertation
Place désormais à une concertation (territoriale et nationale) de mars à mai 2018, soit trois mois. Un brainstorming numérique est également prévu. Quant au financement de ces chantiers de transformation du système de santé, 100 millions d'euros y seront alloués annuellement en plus de l'ONDAM (objectif national de dépenses d'assurance-maladie). Ces moyens doivent permettre de mettre fin « au temps des rafistolages »...
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