Révision de la directive sur le temps de travail

Les médecins européens à nouveau sur le qui-vive

Publié le 18/01/2011
Article réservé aux abonnés
1295316747218205_IMG_51899_HR.jpg

1295316747218205_IMG_51899_HR.jpg
Crédit photo : S TOUBON

1295316747218208_IMG_51950_HR.jpg

1295316747218208_IMG_51950_HR.jpg
Crédit photo : AFP

LE TEMPS de travail, souligne la Commission européenne dans son dernier état des lieux*, diminue en Europe. De 40,5 heures en 1991, il est tombé à 37,5 heures en 2010. Certaines professions échappent à cette moyenne. Les médecins salariés font ainsi partie des 9 % d’employés européens qui travaillent plus de 48 heures par semaine. La perspective d’une révision de la directive sur le temps de travail les préoccupe au premier chef.

La Commission ne cache pas ses intentions. Au nom de la flexibilité du travail, elle veut éviter le statu quo. La précédente tentative de révision avait échoué en 2009. La Commission revient aujourd’hui à la charge, et consulte les partenaires sociaux à propos d’un double projet. Soit une révision complète de la directive, avec de « nouvelles formules de travail », et « une souplesse accrue ». Soit une révision ciblée, avec redéfinition du temps de garde. L’idée : comptabiliser différemment les périodes de garde, « c’est-à-dire pas toujours sur une base horaire, mais selon un principe d’équivalence ». « Sous réserve que certaines limites hebdomadaires ne soient pas dépassées », précise la Commission.

Les syndicats ont jusqu’à la fin du mois de mars pour adresser leur avis à Bruxelles. La révision pourrait intervenir à l’automne. Les médecins y sont farouchement opposés. Ils veulent peser dans le débat, et prennent les devants dès à présent. En France, l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) s’alarme d’une possible décote appliquée aux heures de nuit. « Le temps de garde doit rester du temps de travail, et ce, heure pour heure », prévient l’organisation.

L’ensemble des syndicats médicaux représentant les deux millions de médecins salariés d’Europe ont adopté une position commune. Ils refusent la création de temps de garde inactif, et le report du repos compensateur, mais sont d’accord pour maintenir l’opt out, cette dérogation qui permet de travailler au-delà du plafond réglementaire de 48 heures par semaine. « Bien des pays n’ont pas assez de médecins pour respecter ce plafond, décrypte le Dr Claude Wetzel, président de la Fédération européenne des médecins salariés (FEMS). En Bulgarie, en Roumanie, en Pologne, les médecins travaillent 80 heures par semaine. A contrario, les pays nordiques respectent les 48 heures. Mais l’organisation est différente, et les médecins sont mieux payés. »

Un boycott slovène.

Le temps de travail est un sujet sensible aux quatre coins de l’Europe. Deux mille médecins slovènes ont boycotté les heures supplémentaires en septembre dernier, car le gouvernement voulait en diminuer le tarif. « Du jour au lendemain, nous n’avons travaillé plus que 48 heures par semaine. Cela a causé un chaos indescriptible pendant huit jours, se remémore le Dr Bojan Popovic, dermatologue à Ljubljana. Tous les services étaient arrêtés, seuls les urgences marchaient. » Les praticiens ont obtenu gain de cause : le gouvernement a reculé. La révision de la directive, le Dr Popovic s’en méfie énormément. « Hors de question de créer du temps de garde inactif. Si un ministre slovène essaye de l’imposer, il doit s’attendre à une réaction des médecins aussi vive qu’en septembre dernier », dit-il. Les 48 heures, en revanche, sont bien souvent dépassées. Et le repos de sécurité, pas toujours respecté. « Il manque 2 000 médecins en Slovénie, soit un médecin sur trois. Nous n’avons pas le choix, nous devons travailler beaucoup », résume le dermatologue.

Démographie médicale, temps de travail, revenus : les trois sujets sont étroitement imbriqués. Un observatoire européen de la démographie médicale et des migrations vient d’être mis sur pied pour identifier les flux de blouses blanches au sein de l’Union. Pour le Dr Wetzel, l’enjeu est majeur. « La rémunération des médecins a diminué de 10 % à 20 % dans une bonne partie des pays européens à cause de la crise financière, observe l’anesthésiste strasbourgeois. Les médecins tchèques ont failli perdre 40 % de leur salaire, avant que le gouvernement ne fasse marche arrière. Un peu partout, les médecins doivent travailler autant en gagnant moins. Ils ne pourront accepter qu’une révision de la directive européenne les conduise à faire des gardes non comptabilisées. Sinon, le métier perdra encore en attractivité, et la pénurie médicale s’aggravera. » En Europe de l’Est surtout, là où les médecins gagnent moins de mille euros par mois.

* L’étude réalisée par la Commission européenne sur la mise en œuvre par les États membres de la directive européenne sur le temps de travail est en ligne sur le site http://ec.europa

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 8887