Elles ne sont encore qu'un petit millier aujourd'hui sur les 750 000 infirmières exerçant en France. Mais depuis que la première promotion diplômée en 2019, ce sont désormais 700 nouvelles infirmières de pratique avancée (IPA) qui vont décrocher leur master chaque année et qui se cherchent peu à peu une place, essentiellement à l'hôpital mais aussi plus timidement en ville.
« Sur mes jours dédiés à l'exercice clinique, je suis chargée, en collaboration avec certains psychiatres, de suivre les patients avec une schizophrénie résistante, décrit par exemple, Marie-Astrid Meyer, IPA en psychiatrie et santé mentale au GHU de Paris et membre de l'association nationale française des IPA (Anfipa). Je m'occupe de la surveillance hebdomadaire et du renouvellement des prescriptions de clozapine. Pour les patients bien stabilisés, je fais de l'éducation thérapeutique, sur l'empowerment ou la question du domicile ». En effet, outre la recherche et la formation, les missions des IPA, définies par décret depuis 2018, sont vastes et reposent sur un protocole défini avec un médecin et l'accord du patient. Véritablement échelon intermédiaire entre le médecin et l'infirmière, leur champ d'exercice recouvrent l’orientation, l’éducation, la prévention ou le dépistage, mais aussi des actes d’évaluation, de surveillance et de conclusion clinique, la prescription d’examens complémentaires ainsi que le renouvellement ou l'adaptation d'ordonnances. À l'heure actuelle, elles sont autorisées à exercer dans cinq domaines : les pathologies chroniques stabilisées et les polypathologies, l'oncologie et hémato-oncologie, la maladie rénale chronique, la psychiatrie et les urgences.
« Couteau suisse »
Un suivi autonome plus approfondi et plus « liant » des patients – les consultations d'une IPA durent en moyenne 30 à 45 minutes, là où le médecin ne peut souvent en consacrer qu'une vingtaine – c'est là tout le sel du métier de l'IPA. « Nous sommes là pour poser des jalons auprès des patients mais aussi de leurs aidants, on s'intercale dans les parcours. L'IPA est un couteau suisse aux multiples casquettes », plaide Marie-Astrid Meyer. « Ce qui me plaît, c'est le contact avec le patient, ce lien qu'on garde avec lui au long cours, mais aussi le travail en équipe », complète Éléonore Vitalis, IPA à mi-temps salariée du centre municipal de santé de Nanterre (Hauts-de-Seine).
Auparavant infirmière en établissement dans un service de cardiologie et de chirurgie cardiaque, la jeune femme de 31 ans a choisi d'étudier la pratique avancée dès 2015, avant même que son exercice soit possible en France. « Je voyais revenir des patients pour des aggravations de diabète ou des infections de plaie et j'ai constaté qu'il y avait peu de liens entre la ville et l'hôpital, raconte-t-elle. Désormais, je partage mon temps entre visites à domicile et consultations en présentiel où je suis des patients polypathologiques. Je gère notamment la coordination entre les intervenants, par exemple dans le cadre du maintien à domicile avec le tuteur, les réseaux de santé pour personnes âgées ou les équipes mobiles de psychiatrie. »
Cette prise en main de la coordination et ce temps plus long passé avec les patients bénéficient aussi aux médecins qui collaborent avec une IPA. C'est le cas du Dr Alain Aumaréchal, médecin généraliste à Vendôme (Loir-et-Cher) et qui travaille depuis six mois avec une IPA – auparavant infirmière Asalée – dans sa maison de santé pluriprofessionnelle universitaire (MSPU). « La plus value de ce travail en coopération est avant tout pour le patient, l'objectif premier n'était pas de libérer du temps médical, indique le généraliste installé dans une zone tendue, qui a par ailleurs aussi embauché une assistante médicale. Il n'empêche que cela m'a permis d'accepter de nouveaux patients sans alourdir ma charge de travail. Au lieu de voir une personne diabétique tous les trois mois, je ne la vois plus qu'une fois par an, sauf en cas de problème aigu. Le reste du temps, elle est suivie par l'IPA. »
En médecine spécialisée, les bénéfices sont également tangibles, souligne le Dr Marc Villaceque, président du Syndicat des cardiologues (SNC). « Depuis que je travaille avec une IPA, je vois les patients différemment, raconte le cardiologue nîmois, qui fait d'ailleurs la promotion des IPA auprès des adhérents de son organisation. Elle est plus sensible à la psychologie et à la place des aidants. Cela est utile pour l'adhérence aux traitements, notamment des personnes âgées, qui n'osent parfois pas tout me dire et se confient plus avec l'IPA ».
Modèle non viable
Pourtant, si la plupart des IPA ont trouvé leur place, la profession reste insatisfaite sur plusieurs points. En libéral tout d'abord, le modèle économique n'est pas viable, estime tous les représentants de la profession infirmière. En 2019, un avenant conventionnel a été signé par les deux syndicats représentatifs des infirmiers libéraux, qui définit les tarifs des actes, majorations et forfaits. Mais dans la réalité, « les IPA qui ont essayé de se lancer en 100 % libéral gagnaient à peine 800 euros nets environ », indique Julie Devictor, présidente du Conseil national professionnel (CNP) des IPA et doctorante en santé publique.
De fait, elles sont obligées de garder une grande part d'activité d'infirmière libérale classique à côté de leur exercice de la pratique avancée. D'autres, qui avaient été auparavant infirmières Asalée, ont pu restées salariées de l'association, comme c'est le cas pour la MSPU de Vendôme. À l'hôpital, la grille salariale – différenciée de celle des autres infirmiers – va de 2080 à 3100 euros bruts (échelon 1 à 10). Des montants là encore jugés nettement insuffisants par les représentants des IPA, qui demandent la révision de ces grilles. Et de comparer avec le Royaume-Uni ou les États-Unis, où les IPA existent de longue date et sont rémunérées jusqu'à 110 000 dollars par an.
Droit de prescription
La profession réclame par ailleurs, depuis le début, la possibilité de primo prescrire. Aujourd'hui, les IPA, sont seulement autorisées à adapter des traitements, à les renouveler ou encore à prescrire des analyses médicales, mais ne peuvent pas initier des traitements de manière autonome. « Par exemple, dans mon domaine, la cancérologie, je ne peux pas prescrire de compléments alimentaires, déplore Julie Devictor. Cela empêche d'aller au bout de ce qu'il faudrait faire en termes de bonnes pratiques ». Une expérimentation est néanmoins prévue dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2022, qui permettra aux IPA de prescrire dans trois régions pendant trois ans. Mais ce point crispe une grande partie des représentants de médecins libéraux, qui y voient les prémices « d’une médecine sans médecin » (lire p. 12). « L’infirmière en pratique avancée n’est pas là pour faire à notre place, tempère le Dr Aumaréchal. Les médecins ont souvent peur de cela, mais il faut plutôt voir ce qu’elle apporte en plus ». Les pouvoirs publics en semblent déjà convaincus.
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