Installés au cœur des entreprises, les médecins du travail sont, sur le terrain, en première ligne pour déceler les souffrances et les maladies liées aux situations à risque. À l’heure où l’âge de la retraite recule, où le stress et les suicides au travail font régulièrement la « une », leur exercice, en pleine réforme, prend une importance croissante. De plus en plus, il exige optimisme, capacité d’indignation et de réflexion, force de proposition, volonté d’action, courage... Autant de qualité qui ne sont pas toutes enseignées par la faculté.
LA REFORME de la santé au travail n’en finit pas de rebondir. D’abord censurée par le Conseil constitutionnel au sein de la réforme des retraites à la fin de 2010, la loi réformant l’organisation de la médecine du travail, publiée au « Journal officiel » le 24 juillet, ne devrait plus tarder à entrer en vigueur. Ses neuf décrets d’application, dont l’accouchement semble difficile, sont discutés ces jours-ci avec les syndicats au Conseil d’orientation sur les conditions de travail présidé par Xavier Bertrand. Des échanges jusque-là discrets pour des enjeux de taille. Car le texte voté met en œuvre une réforme de fond en dessinant les contours d’un nouvel exercice. Parmi les mesures phares : le travail en équipe pluridisciplinaire instaurant des services de santé au travail interentreprises, la possibilité de remplacement par des internes et le suivi de certains salariés par des médecins généralistes.
Des managers sur le terrain.
Souvent dénigrée ou jugée peu attractive, désertée par les plus jeunes, la médecine du travail se retrouve pourtant en première ligne pour surveiller la santé des salariés en pleine crise économique. Les médecins du travail sont voués à l’observation des difficultés rencontrées sur le terrain ; la loi les en éloigne, prévoyant de leur confier des fonctions managériales au cœur des entreprises. Une reconnaissance bien accueillie dans la profession à un détail près : quelle sera la marge de manœuvre des praticiens ? La réforme impose par exemple d’élaborer désormais un projet de service affichant des moyens et des objectifs fixés par un conseil d’administration paritaire réunissant l’employeur et les salariés avec une présidence qui reste patronale. Et c’est bien sûr au niveau de cette gouvernance que cela coince, car il n’est pas évident que le décret en préparation clarifie les rôles et les responsabilités de chacun. C’est pourtant ce qui est attendu par Mireille Chevalier, secrétaire générale du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST) qui considère que « la bataille n’est pas perdue ».
Le mot est lâché : il s’agit bel et bien d’une bataille. « Alors que la médecine du travail souffre d’une image poussiéreuse de pantouflards, son exercice exige au contraire un courage de tous les instants pour affronter les responsables de tout niveau qui ne sont pas toujours prêts à entendre parler de prévention et de santé », affirme Gabriel Paillerau, conseil en santé au travail. Des conseils pas si simples à donner, y compris dans le secteur de la santé. À l’image du cordonnier le plus mal chaussé, le médecin ne serait pas le plus précautionneux dans la mise à jour de ses vaccins. Christiane Sabah-Mondan, médecin du travail à l’hôpital Esquirol de Saint-Maurice y veille, affirmant « que ses conseils permettent aussi de renforcer la sécurité du personnel dans cet établissement psychiatrique ».
L’indispensable liberté d’investigation.
« Lorsque les conditions de travail conduisent à des scandales sanitaires – amiante, explosion de l’usine AZF –, les employeurs comprennent alors que la santé au travail à un prix », livre un médecin d’EDF. Des affaires qui évoquent des situations de travail déplorables, des précautions pas assez respectées aux conséquences humaines évidentes. Constater les négligences de protection, imposer plus de sécurité et aider les travailleurs dans la reconnaissance de leurs problèmes de santé liés à leur exercice professionnel relève du travail assidu des médecins du travail.
Leur liberté d’action et d’investigation semble aujourd’hui remise en cause au moment précis où leur efficacité devient visible. Au début du mois, l’assurance-maladie avançait des chiffres inquiétants sur l’évolution des accidents du travail et des maladies professionnelles. En recensant 660 000 accidents du travail et 50 700 maladies professionnelles déclarées en 2010 – dont 85 % de troubles musculo-squelettiques (TMS) –, la CNAM constate une forte croissance tant des déclarations que des prises en charge par la Sécurité sociale.
Globalement, accidents du travail et maladies professionnelles ont représenté 54 millions de journées de travail perdues l’an dernier. Parmi les secteurs les plus touchés, celui de l’alimentation représenterait environ 20 % des accidents déclarés, le BTP décroche la palme avec 73 accidents pour 1 000 salariés entraînant 8 300 incapacités permanentes et 118 décès l’an dernier. Dans le secteur des transports routiers où le nombre d’accidents grimpe de 5 %, la cadence des rotations imposées aux chauffeurs est mise en cause. Les médecins du travail restent souvent les seuls à pouvoir s’en expliquer avec l’employeur. Des échanges parfois musclés, auxquels les études de médecine ne préparent pas forcément. Un combat courageux et utile puisque la progression des maladies professionnelles a aussi diminué de moitié l’an dernier. Les médecins du travail, habitués à travailler dans l’ombre, savourent – trop discrètement peut-être – cette petite victoire.
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique