Mauvais bulletin pour la médecine scolaire

Une profession délaissée, peu attractive et sans pilotage

Publié le 10/10/2011
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Crédit photo : S Toubon

LE TABLEAU de la médecine scolaire qu’a dressé le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, devant Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale, est sombre. Il en ressort l’image d’une profession délaissée par son ministère de tutelle (l’Éducation nationale), peu soutenue par celui de la santé, et dont les membres, pourtant mobilisés sur le terrain, manquent cruellement de reconnaissance. « Premier constat, commence Didier Migaud, les objectifs de la médecine scolaire n’ont cessé de se multiplier et de s’élargir au fil des décennies sans hiérarchisation claire entre elles ». Les médecins et infirmiers scolaires ne se voient fixer aucune priorité et doivent assurer indistinctement visites médicales obligatoires, missions de prévention, et aide aux enfants souffrant de problèmes de santé ou de handicap. « Les acteurs de terrain expriment le sentiment d’une accumulation d’actions parmi lesquelles ils sont contraints de faire eux-mêmes des choix en fonction des impératifs dictés par l’urgence », rapporte le président de la Cour des comptes, à la lumière d’une vaste enquête auprès des ministères, de trois académies, et surtout d’écoles maternelles et primaires, de collèges et de lycées.

1 500 médecins, 12 millions d’élèves.

Deuxième épine : l’absence d’attractivité du métier qui, associée à une faible mobilité des professionnels, conduit à de grandes inégalités démographiques. Les médecins scolaires sont moins bien rémunérés en début de carrière qu’un interne. « Certains doivent même assurer à leurs propres frais l’acquisition de matériels médicaux ou doivent utiliser, sans être remboursés, leur téléphone personnel afin d’organiser leur rendez-vous avec les élèves et leur famille », accuse Didier Migaud. Conséquence, l’Éducation nationale ne compte que 1 500 médecins scolaires et 7 500 infirmiers pour...12 millions d’élèves. Et la situation ne va pas s’améliorer : 32 % des infirmiers de l’Éducation nationale et 42 % des médecins scolaires devraient partir à la retraite d’ici à 2019.

La Cour des comptes dénonce ensuite un pilotage « limité, sinon inexistant » de la médecine scolaire. « Au sein du ministère de l’Éducation nationale, un seul bureau est consacré à la médecine scolaire, et encore de manière non exclusive », s’est insurgé Didier Migaud. La santé reste considérée comme un facteur de réussite scolaire, non comme une politique de santé publique.

Enfin, le Palais Cambon relève l’absence de statistiques pour évaluer l’impact des activités des médecins scolaires sur les jeunes. Un seul indicateur est disponible : le taux de réalisation des visites obligatoires des élèves à 6 ans. Encore est-il médiocre : seuls 65 % des enfants de cette tranche d’âge en bénéficient. Rien n’existe à ce jour pour mesurer les actions répondant à de nouveaux enjeux, comme la prévention de la souffrance psychique. « L’écart est profond entre les objectifs ambitieux fixés à la médecine scolaire et la réalité de ses résultats », tranche Didier Migaud. Un constat partagé par les rapporteurs de l’Assemblée nationale qui devraient remettre une étude en novembre. « Pour suivre 12 millions d’élèves, la médecine scolaire est dotée d’une enveloppe de 455 millions d’euros (0,7 % du budget de l’Éducation nationale), qui n’a pas évolué malgré de nouveaux objectifs », remarque le député Bernard Gaudron.

Refonte statutaire.

La Cour trace plusieurs orientations pour valoriser un dispositif rare en Europe et d’autant plus crucial que le médecin scolaire est souvent le seul point de contact de l’enfant avec le monde de la santé.

Cette médecine doit être mieux identifiée : si son rattachement à l’Éducation nationale n’est pas contesté, il faudrait confier la responsabilité de cette politique à une « autorité médicale éminente », suggère Didier Migaud. Les deux ministères doivent s’accorder pour « concilier la conception d’une médecine scolaire au service de la réussite des élèves et élément d’une politique de santé publique ».

Sur le terrain, l’urgence est de déterminer des objectifs hiérarchisés, assortis d’indicateurs précis, afin d’aiguiller le travail des professionnels et de leur donner les moyens d’assumer leurs missions. Le message de Didier Migaud est clair : « Les difficultés de recrutement des médecins et infirmières de l’Éducation nationale et les perspectives d’aggravation de cette situation rendent inévitable une adaptation statutaire ». Cette revalorisation des rémunérations et du plan de carrière devrait prendre modèle sur les statuts des autres fonctionnaires.

Quant aux moyens, même sans augmentation, ils doivent être impérativement redéployés sur le territoire pour remédier aux inégalités. « Les déserts médico-scolaires sont les déserts médicaux tout court », explique Jean Picq, président de la troisième chambre de la Cour. Les agences régionales de santé (ARS) sont invitées à renforcer la complémentarité entre les différents acteurs de la médecine scolaire. Une préconisation que devrait prendre en compte l’Assemblée nationale, à en croire les mots de son président, Bernard Accoyer : « Il faut que la France réfléchisse à la prévention et décide d’objectifs nationaux déclinés selon les territoires : un rôle qui revient aux ARS ».

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9021