L'inquiétude grandit chez les médecins spécialistes libéraux. Ophtalmos, radiologues, stomatos… : alors que le confinement est prolongé jusqu'au 11 mai au minimum, les syndicats de plusieurs « verticalités » s'alarment de la forte baisse de fréquentation de leurs cabinets – plus importante encore qu'en médecine générale.
Le directeur de la CNAM lui-même, auditionné par le Sénat sur la gestion de la crise sanitaire, a confirmé le net repli d'activité libérale. Selon Nicolas Revel « les spécialistes enregistrent une baisse de leur activité de 50 % » sur les trois dernières semaines. Mais ce n'est qu'une moyenne et la réalité est parfois proche de l'effondrement du chiffre d'affaires. Les dépenses en médecine de ville chutent de « 350 millions d'euros par semaine », estime le DG de la CNAM, qui a été chargé par le gouvernement de « concertations » avec les libéraux pour définir les modalités d'un soutien financier.
La diminution est également constatée par Doctolib, principal opérateur de prises de rendez-vous en ligne. Selon les données de la plateforme, le nombre de consultations a baissé de 71 % pour les spécialistes entre janvier et avril 2020…
Urgences, cancéro… et c'est tout
Les représentants des spécialistes libéraux estiment que la baisse d'activité atteint aujourd'hui 80 % voire 90 %. « Toutes les spécialités sont touchées avec des variabilités régionales ou par activité. Un stomatologue va être proche de zéro par exemple », explique le Dr Franck Devulder, président des Spécialistes-CSMF, qui alerte depuis mi-mars. Les disciplines médico-techniques sont particulièrement impactées car elles emploient du personnel et doivent financer du matériel et des équipements lourds.
« Les gros cabinets de radiologie avec plusieurs centres peuvent en garder un ouvert, car il y a toujours les scanners thoraciques liés au Covid et les pathologies comme les cancers. Mais pour les petits cabinets libéraux qui ne font que de la radiologie conventionnelle c'est très compliqué », analyse le Dr Jean-Philippe Masson, président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR), rappelant que jusqu'à 70 % du chiffre d'affaires d'un radiologue peut passer dans les charges. Si les employés ont été mis au chômage partiel, les emprunts, frais et loyers sont dus, souligne-t-il.
Les anesthésistes-réanimateurs libéraux ne sont pas épargnés, même s'ils ont pris en charge des patients Covid dans le privé, à côté des urgences et de la cancérologie. « Mais c'est loin de compenser notre perte d'activité », signale le Dr Christian Michel Arnaud, à la tête du SNARF.
Même inquiétude pour les ophtalmologistes qui ne voient plus que des demandes urgentes ou des cas de conjonctivites liées au Covid. La baisse d'activité dans cette spécialité atteindrait « 95 % », selon le président du SNOF. Il craint une aggravation de pathologies comme le glaucome ou la DMLA et une situation durablement fragile. « Même après le déconfinement, notre activité ne sera pas comme avant car les patients âgés ou à risques ne vont pas revenir tout de suite », estime le Dr Thierry Bour.
Amortir
Le Dr Philippe Vermesch, président du SML, ne mâche pas ses mots. « Certaines spécialités chirurgicales sont à zéro depuis un mois car on a demandé aux cliniques de fermer ». Il appelle de ses vœux la suppression des échéances sociales et fiscales des médecins, notamment l'URSSAF. « La compensation de l'assurance-maladie va a priori être calculée par spécialité, en fonction du taux moyen de charges fixes appliqué au chiffre d'affaires, en déduisant les aides versées par l'Etat. On se dirige vers une usine à gaz, redoute le stomatologue. C'est un geste mais cela ne prend pas en compte nos honoraires…»
Inquiet aussi, le jeune syndicat Avenir Spé a réclamé de son côté un plan d'urgence pour les spécialistes incluant l’exonération de charges durant toute la période de confinement et… le versement mensuel d’un douzième du chiffre d’affaires annuel. Une revendication jugée « peu accessible » par les Spécialistes-CSMF. « Il faut être digne dans ce moment. Nous plaidons pour une compensation des charges et une attention particulière pour les médecins en début et fin de carrière. Nous y sommes presque », veut croire le Dr Devulder.
Sous forme d'acompte, l'aide devrait être déployée dans les premiers jours de mai pour les six premières semaines du confinement. Selon la CNAM, le soutien permettra de couvrir certains frais parmi lesquels le « loyer, l'emprunt, les charges sociales et fiscales ».
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