« Voilà, ça fera 25 euros. » Pour certains médecins, cette simple phrase, glissée en fin de consultation, ne pose d’autre problème que celui du montant, généralement jugé trop faible. Mais pour d’autres, demander de l’argent en échange de services médicaux est une véritable souffrance. Certains vont jusqu’à affirmer que c’est l’une des raisons qui les poussent à appliquer le tiers payant intégral, voire à préférer l’exercice salarié. Voilà qui montre bien que l’argent reste, au sein de la profession, un tabou important.
« Les médecins, comme beaucoup d’autres professionnels libéraux, n’aiment pas parler d’argent, en particulier de celui qu’ils peuvent gagner, remarque Béchir Chebbah, président de l’Union nationale des associations agréées (Unasa), qui a à ce titre l’occasion d’observer le comportement de la profession sur la question. Ils sont perçus comme des notables, et c’est par conséquent un sujet qu’ils ne préfèrent pas afficher. »
Une réticence qui ne veut pas dire que les médecins sont maladroits avec l’argent, bien au contraire. « En tant que conseillers, nous voyons bien qu’ils ont conscience qu’ils ont une entreprise à gérer, si petite soit-elle, note l’expert-comptable. Ils font bien la distinction entre les recettes et les bénéfices, ils savent qu’ils ont des charges à assurer, etc. » Et celui-ci ajoute que les médecins qu’il côtoie « savent manifestement compter », même si « on ne leur apprend pas la gestion à l’université ».
Spécialité française ?
Et il ne faudrait pas croire que l’interdiction, certes tacite, qui porte sur toute conversation mêlant argent et médecine ne concerne que les soignants de ville. À l’hôpital aussi, parler d’argent n’est pas toujours bien vu. C’est en tout cas l’avis du Pr Michaël Peyromaure, chef du service d’urologie à l’hôpital Cochin de Paris, qui peut d’autant plus parler de ce sujet qu’il est l’un des rares à ne pas respecter le tabou : il ne fait aucun mystère de l’activité privée qu’il mène en secteur 2. Celle-ci lui permet, affirme-t-il, de « doubler [son] salaire de PU-PH et d’atteindre une rémunération mensuelle d’environ 16 000 euros nets ».
Mais le franc-parler de Michaël Peyromaure ne lui attire pas que des sympathies. « Quand je prends la parole dans les médias, que ce soit sur le Covid ou sur les 35 heures, par exemple, c’est toujours sous l’angle de mon activité privée à l’hôpital qu’on m’attaque, remarque-t-il. Au lieu de me répondre en argumentant, on préfère dire que je suis une ordure qui fait du secteur 2. »
Reste que le tabou qui entoure les questions d’argent est loin de se résumer à la profession médicale. « C’est quelque chose d’assez français, remarque Béchir Chebbah. Dans notre pays, on parle assez facilement d’argent si on n’en gagne pas beaucoup, mais sinon, on préfère parler de ses charges et de ses impôts plutôt que de ses revenus. »
Michaël Peyromaure, lui aussi, constate une spécificité française sur le sujet. « L’argent est tabou de manière générale en France, mais il l’est doublement pour les médecins, estime l’urologue. Nous avons un système qui est très généreux pour les patients, ce qui est très bien à certains égards, mais cela fait que les gens ont du mal à admettre que des médecins réussissent à très bien gagner leur vie grâce à ce système. »
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