À l’occasion de la présentation des résultats de son 6e observatoire de la santé au travail, la Mutualité française a formulé mardi 10 février propositions pour améliorer l’accès de tous à la médecine du travail. S’alarmant de la dégradation de nombreux indicateurs sanitaires mais aussi de la crise de la démographie des professionnels de santé au travail (médecins mais aussi infirmiers, psychologues, ergonomes…), la Mutualité a présenté plusieurs pistes pour permettre l’accès de tous les Français aux visites médicales obligatoires en santé au travail.
L’enjeu est de taille puisque la France affiche un taux d’accidents le plus élevé en Europe avec 3,5 accidents mortels pour 100 000 personnes en emploi pour une moyenne européenne de 1,7 pour 100 000. La part de salariés reconnus en maladie professionnelle a, elle, fortement augmenté et touchait 2,6 salariés sur 1 000 en 2019 contre 1,4/1 000 en 2001, du fait notamment, de l’évolution des critères de reconnaissance des pathologies professionnelles.
Des médecins du travail vieillissants
« La santé au travail doit devenir un enjeu de santé publique et nous devons voir comment les mutuelles peuvent agir, au-delà du financement, dans le champs de la prévention, affirme Éric Chenut, président de la Mutualité. Il est possible de faire bouger les lignes pour faire reculer l’accidentologie, les accidents mortels et graves, les maladies professionnelles et concourir aussi à l’accompagnement de la santé au travail. »
Un changement d’organisation s’impose d’autant plus, selon la Mutualité, que le contexte démographique est inquiétant. La France compte 4 812 médecins du travail, selon les statistiques 2022 de la Drees, dont 56 % ont plus de 65 ans et vont donc bientôt partir à la retraite. Ces praticiens sont très inégalement répartis sur le territoire, avec 20,4 médecins pour 100 000 habitants à Paris pour 2,8 pour 100 000 dans le Cantal.
Conséquence de cette crise démographique, 61 % des salariés du secteur privé n’ont pas bénéficié d’une visite médicale dans l’année et 2,8 millions de travailleurs indépendants sont sans suivi en santé au travail. Sans surprise, la majorité des actifs (52 %) se sentent mal informés sur différents aspects liés à la santé au travail comme les maladies professionnelles physiques ou les troubles psychologiques liés à leur activité et ils ne savent pas vers qui se tourner en cas de souffrance en lien avec leur emploi.
« Il faut permettre à tous les travailleurs d’avoir accès à la santé au travail, explique Séverine Salgado, directrice générale de la FNMF. Nous proposons de soutenir le développement de l’offre de santé au travail en l’appuyant sur les centres de santé mutualistes, d’une part en élargissant leurs compétences, et d’autre part en passant des conventionnements pour la prévention professionnelle. »
Des maladies professionnelles à mieux détecter
La Mutualité préconise par ailleurs d’élargir aux centres et aux maisons de santé le suivi de la santé au travail. Elle souhaite également, lorsque le contexte local le permet, que les professionnels de santé des structures de soins et d’accompagnement mutualistes puissent participer à la prévention en milieu professionnel mais aussi réaliser la surveillance médicale après cessation de l’activité de la personne exposée à des agents cancérigènes, par exemple.
La Mutualité recommande enfin de former les médecins généralistes et spécialistes afin qu’ils acquièrent une meilleure connaissance des maladies professionnelles, notamment dans le cadre des futurs bilans aux âges clés. « Il faut sensibiliser les médecins traitants à l’importance de signaler une pathologie d’origine professionnelle au médecin du travail pour faciliter la détection et la prévention », avance Séverine Salgado. L’élargissement du champ d’exercice des infirmières en pratique avancée (IPA) au diagnostic de certains risques professionnels est également souhaité par la FNMF.
La CFE-CGC circonspecte
Comment sont perçues les propositions de la Mutualité par les médecins du travail ? Elles ne sont pas du goût du Dr Anne-Michèle Chartier, présidente de la branche Santé Travail de la CFE-CGC. « Il y a peut-être quelque chose à faire pour impliquer davantage les mutuelles à la santé au travail mais pas de la manière dont le présente la Mutualité, affirme la syndicaliste. Nous sommes gênés car ce qui est proposé est en prise avec les employeurs et ne repose pas sur une gestion paritaire, cela ne fait qu’élargir le mille-feuilles existant ». La question du financement d’une telle évolution pourrait également se poser. « La santé au travail doit être payée par l’employeur, or quand on rentre dans un dispositif de mutuelle et de prévoyance, le salarié en paie la moitié. »
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