Direction : Zuglantrov

#1 Embarquement

Publié le 09/10/2020
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Crédit photo : DR

— Dis voir, petit, c’est tout ce que t’as comme bagages ?

J’acquiesce. La capitaine me regarde avec suspicion tout d’un coup.

— Je ne pars pas bien longtemps, je lui précise.

— Bon, bon, c’est toi qui vois. Mais faudra pas venir chouiner au milieu du voyage parce que t’auras plus rien à te mettre sur le dos.

Elle me détaille encore un peu, fait signe de la tête et se dirige vers son vaisseau. Des gens sont en train de charger des caisses, certains me lancent des regards suspicieux, eux aussi.

C’est aussi bien, remarque, ajoute-t-elle une fois qu’on a dépassé la cale. C’est pas qu’on manque de place, mais un peu !

Elle claudique. On devine une jambe en bois à travers son pantalon.

Vous livrez à beaucoup d’endroits ?

Elle ne répond pas, s’arrête, se tourne vers moi. La suspicion est revenue.

Pourquoi tu me demandes ça, hein ?

— Pour… pour rien… Juste pour faire la conversation, vous savez…

— Ouais, ouais.

Elle me fixe beaucoup trop longtemps, plisse les yeux. Je n’ai pas la trouille facile, mais je sens un peu mes genoux danser.

Et t’inquiète, on te déposera vite sur… sur…

— Sur Zuglantrov.

Ah oui, Zuglantrov. Pas un super endroit en ce moment. Toute leur planète est bouclée, tu sais.

Oui, c’est pour ça que j’y vais.

Elle fronce les sourcils, semble réfléchir.

Ah, mais tu fais partie des médecins ? J’me disais aussi, qu’est-ce qu’une personne sensée serait allée faire sur une planète contaminée ?

Ils ont lancé un appel à l’aide global. À toutes les planètes du système, vous savez.

Ouais, ouais, je sais. On l’a entendu passer. N’empêche, ça semble quand même pas une bonne idée. C’est vraiment tout contaminé là-bas. On avait quelques clients… euh, personnes à livrer. Eh bah, on sait plus trop ce qu’ils sont devenus.

Je hausse les épaules.

Comme tu le sens. Bidule ! hurle-t-elle soudain.

Je sursaute violemment. Un gosse surgit en face de nous.

Cap’taine ? dit-il.

Montre sa chambre à notre passager.

On a des chambres ?

— Sa cabine, quoi.

— On a des cabines ?

La capitaine lui lance un regard agacé.

Bien sûr qu’on en a. Derrière la cuisine, là.

— Ah, mais vous voulez dire le cagib… Ah oui, la cabine ! Venez !

La capitaine est déjà repartie à ses affaires en grognant, alors j’emboîte le pas au gamin.

— C’est quoi, ton nom ? je lui demande.

— Bidule.

— C’est ton vrai nom ? Je pensais…

Pourquoi ça serait pas mon vrai nom ?

— Je pensais juste que c’était la manière de la capitaine de t’appeler. Pour… tu sais…

— Bah non. Et c’est très bien comme nom. Pourquoi, ça vous plaît pas ?

— Si, si, bien sûr.

La conversation se coupe comme on arrive devant la « cabine » qui est exactement comme je l’imaginais : un cagibi où ils stockent leur nourriture. Un matelas est jeté par terre. Ça va que je n’attendais pas de confort.

— V’là votre chambre !

J’ai l’impression qu’il attend que je réagisse, peut-être que je m’offusque que ça ne ressemble pas du tout à une chambre. Je souris, hoche la tête. Le gamin, Bidule, a l’air surpris. Mais il ne s’attarde pas dessus, tourne les talons et retourne à ses occupations.

Je pose mon sac dans un coin, m’assois sur le matelas, prends une grande inspiration. Cette journée a été épuisante, mais au moins, ce vaisseau-là me mènera à destination.

Soudain, le sol se met à trembler, tout est secoué autour de moi. Quelques boîtes de conserve roulent, vont se perdre sous une étagère.

Je m’accroche à une poignée, essaie de calmer ma respiration. C’est la toute première fois que je quitte ma planète, et vu la nausée qui commence à s’installer, je me dis que ça sera la dernière.

 

Svetlana Kirilina, née en Russie, a quitté, très jeune, ce pays pour la France. Elle s'est alors mis en tête d'apprivoiser la langue par l'écriture. Elle a publié quelques romans, édités ou indépendants. Bref, elle n'a pas beaucoup dormi ces dernières années. Mais, elle a une bonne réserve de café !

Svetlana Kirilina

Source : Le Quotidien du médecin