Direction : Zuglantrov

# 3 Découverte

Publié le 23/10/2020
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Résumé : Le voyage poursuit son cours plus ou moins paisible vers Zuglantrov. Les planètes défilent derrière le hublot… jusqu’à l’arrivée à côté de Zugwon qui décide de disparaître tout d’un coup.

Crédit photo : DR

— Pourquoi elle… ?

Je me frotte les yeux. Peut-être que je ne suis pas encore tout à fait réveillé. Sauf que la planète là, elle recommence la même chose, mais ce coup-ci, elle revient en arrière.

— Elle vient de sauter !

— Ah ça… C’est une histoire très drôle. Vraiment.

La capitaine fait une pause, beaucoup trop théâtrale à mon goût.

— Me regarde pas avec cet air d’ahuri.

Je le sens qu’elle prend son pied à me voir complètement paumé face à cette planète qui… ouais, elle vient de nouveau de sauter.

— Mais…

— C’est sa période de perturbations temporelles, à Zugwon. Ça arrive… Bon, on sait pas trop quand ça arrive. Mais ça arrive.

— Comment ça « quand » ? Là, tout de suite, maintenant.

— Ouais, mais tu vois, c’est toute la difficulté. Le « maintenant » sur Zugwon, il est pas exactement comme ailleurs. La moitié de l’année, ils vivent dans le bon ordre. Et paf, l’autre moitié, tout se déroule dans n’importe quel sens.

Je la fixe et je me demande si elle n’est pas en train de se moquer de moi. Ce n’est absolument pas exclu.

— Bon, si tu veux, quand ils sont en saison de perturbations, tout se déroule dans le mauvais sens. Par exemple, tu te retrouves à la boulangerie, tu réfléchis aux croissants que tu veux acheter. Paf, t’en as pris trois parce que t’avais faim. Paf, tu rentres dans la boulangerie parce que t’as envie de croissants. Et paf, tu sors de chez toi en te disant que tu passerais bien à la boulangerie. C’est Zugwon, quoi.

— Et… comment ils font pour s’y retrouver ?

— Ils sont habitués.

— Comment on peut s’habituer à vivre dans le mauvais sens ?

— Tu sais, le fait que le sens soit bon ou mauvais, c’est juste une question de point de vue. Toi, par exemple, tu t’attends à manger le dîner après l’avoir mis à cuire ? Eh bah eux, souvent, ils le mangent avant.

— Mais du coup, s’ils l’ont déjà mangé, quel intérêt de le mettre à cuire ?

— Parce que si tu le mets pas à cuire, qu’est-ce que tu viens de manger ?

— Euh…

Je sens mon mal de crâne enfler, enfler…

— Mais si je l’ai mangé et que je ne le mets pas à cuire ?

— Alors, t’auras pas mangé.

— Mais si, vu que j’ai déjà mangé !

— T’as mangé quoi si t’as rien mis à cuire ?

Je ne trouve rien à répondre. Je jette un coup d’œil à la planète et me demande du coup s’il y a beaucoup d’habitants qui sont en train de préparer un repas qu’ils ont déjà mangé.

— Bref, j’ai à faire. Et toi… j’sais pas, trouve-toi une occupation.

Et avant que j’aie le temps de demander quelque chose d’autre, elle me plante là. Je jette un nouveau coup d’œil à la planète. Elle vient de sauter trois fois de plus d’avant en arrière. Puis, je me dirige vers la cuisine et vers le réduit qui me sert de chambre.

— T’es qui, toi ?

Je retiens un soupir face au regard très suspicieux de Sol de derrière ses lunettes de plongée. La capitaine avait raison : il est vraiment très oublieux.

— Un passager, je lui réponds en prenant bien soin de garder mes distances.

— Tiens donc, on a des passagers ?

— Oui et je reste dans la remise.

Je me dis que si je le lui répète assez de fois, il va finir par l’assimiler et n’essaiera plus de me jeter par-dessus bord. Mais je suis peut-être trop optimiste. En plus, c’est compliqué d’analyser ses réactions, ses lunettes de plongée ne laissent rien voir à son regard.

— Dans la remise ? Dans ma remise ? À chaque fois, ils me font ça. À chaque fois !

— Désolé.

Il me fixe longtemps, beaucoup trop longtemps.

— Bon, tu seras vite parti, hein ?

Prochain épisode dans notre édition du 30 octobre

Svetlana Kirilina, née en Russie, a quitté, très jeune, ce pays pour la France. Elle s'est alors mis en tête d'apprivoiser la langue par l'écriture. Elle a publié quelques romans, édités ou indépendants. Bref, elle n'a pas beaucoup dormi ces dernières années. Mais, elle a une bonne réserve de café !

Svetlana Kirilina

Source : Le Quotidien du médecin