La tragédie des médecins généralistes
Ce n’est jamais un nerf, une artère, un muscle, une dent, un foie, un sein ou une prostate qui est malade ; c’est toujours une personne. Chaque personne doit être soignée le mieux possible. Une grande, belle et vraie médecine commence par le diagnostic ou par les questions que le médecin de famille se pose.
La médecine a été un métier magnifique. C’est une époque révolue. Mais il est hors de question d’en rester là. Maintenant la médecine doit redevenir un métier magnifique. Il faut donc qu’elle se transforme. Il faut inventer une nouvelle médecine.
La décadence
La décadence de la médecine est constituée par quelques éléments qu’il est nécessaire d’exposer au grand jour. La médecine dite libérale, avec sa liberté d’installation et son paiement à l’acte, est devenue une aberration. Elle a eu sa belle époque mais elle n’a plus de sens. C’est une survivance. Quant à la "bobologie", c’est une triste supercherie qu’il faut dénoncer vertement. La liberté d’installation n’est plus possible à cause des nombreux, inadmissibles et dangereux "déserts médicaux". Inutile d’épiloguer.
Quant au paiement à l’acte, chaque patient a le droit de savoir qu’il paye deux fois chaque acte médical, chaque consultation. La première fois, très chère, n’est jamais remboursée : ce sont les cotisations mensuelles ; la deuxième fois est remboursée pour partie par la Sécurité sociale et le complément par une mutuelle. Cette tactique financière était justifiée par un argument de responsabilisation tant du médecin que du patient. Cette coutume est de toute évidence devenue une vieille lune. Le paiement à l’acte est illogique et incongru. Il est très important aussi d’expliquer que la bobologie n’existe pas. En médecine, rien n’est a priori insignifiant. Le terme "bobologie" a pris de l’ampleur lors de reportages sur les Services d’urgence. Si la bobologie est instituée, ce sera la pire décadence. Il faudra s’attendre à de nombreuses erreurs de diagnostic et de traitement, à des incompréhensions graves, à des tragédies scandaleuses. C’est un nouvel écueil préoccupant sur lequel la médecine peut se fracasser. Une médecine de qualité normale exige que chaque patient qui présente un symptôme puisse, s’il le souhaite, être examiné par un médecin dans des conditions déterminées par le bon sens.
Le progrès
La médecine est un métier de service. Il s’agit d’aider et d’être utile. Le médecin doit exercer son métier comme les professeurs lui ont appris à le faire à la faculté – théorie et pratique. D’emblée il faut affirmer aussi que c’est un métier très difficile : intellectuellement, physiquement, moralement. La part relationnelle, quant à elle, est essentielle.
Toute personne qui présente un symptôme doit donc être examinée par un médecin dans un délai déterminé par le bon sens. L’initiateur est très souvent le patient, y compris un bébé (ils savent s’exprimer sans détour !) relayé par ses parents. Selon les règles de l’art, le médecin va accueillir le patient, l’écouter, le questionner, l’inspecter, le palper, le percuter, l’ausculter, s’occuper opportunément des orifices (le plus difficile est souvent le conduit auditif). Puis il va prescrire et organiser les examens complémentaires nécessaires : biologie, imagerie, etc. Cette procédure clinique et paraclinique mènera au diagnostic. Ensuite le médecin prescrira le traitement et la surveillance de l’évolution. Ou bien il demandera l’avis d’un confrère spécialiste.
La médecine est toujours un travail d’équipe. Dans cette équipe, la valeur socioprofessionnelle de chaque équipier est la même, que ce soit en ville ou à l’hôpital. Rôle et statut de chaque médecin sont donc de valeur égale, chacun ayant son propre métier à exercer. Bien sûr que les professeurs enseignent (fonction qui confère un haut rang exceptionnel justifié) et que les étudiants apprennent !
Diplôme obtenu, il revient au médecin généraliste d’être le plus souvent le premier recours et le coordonnateur. Cette mission nécessite une action élaborée de communication orale et/ou écrite selon les circonstances. Pour être clair, un médecin qui envoie un malade aux Urgences avec pour seule transmission un mot griffonné : « Placement », prend une initiative médiocre (heureusement rare !). Le recours à un spécialiste ou à l’hôpital correspond toujours à un problème compliqué de diagnostic et/ou de traitement. Le médecin qui "ne sait pas" ou qui "ne peut pas" et qui s’organise en conséquence, en expliquant pourquoi, exerce une médecine de très grande qualité. C’est tout à son honneur.
La rémunération du médecin est une affaire délicate. Faut-il le payer selon le nombre des personnes qu’il aura soignées ? Ou bien selon le temps passé ? Ou bien selon la fonction ? Il semble que la charge de soigner soit l’élément le plus significatif. Le salariat n’a rien de déshonorant, au contraire ! Il est d’ailleurs le mode de rétribution de tous les médecins hospitaliers et universitaires, ceux qui occupent les échelons supérieurs de la hiérarchie, ceux qui ont la responsabilité d’enseigner. A priori le salaire net d’un médecin généraliste pourrait aller (en valeur constante) de 4 500 euros par mois quand il commence vers 28 ou 30 ans, à 6 500 euros par mois quand il va prendre sa retraite à 65 ans.
Par ailleurs, il semble qu’il soit préférable de préserver autant que possible le libre choix du médecin (référent ?) par les patients, sans en faire un dogme. Et puis les cliniques et les hôpitaux doivent être des lieux d’excellence ; pour le coup, oui, ce principe est un dogme. Un dernier repère ? Ce serait de développer un nouveau métier : le médecin généraliste senior. Tout confrère pourrait le rencontrer ou lui adresser un patient en cas de situation très complexe.
La refondation
S’agit-il, pour conclure, de refonder la médecine ? Spécialement la médecine générale ? Pourquoi pas ? Mais alors que ce soit fait avec enthousiasme, avec une jeunesse d’esprit qui permettra les réflexions et les débats nécessaires pour innover et réussir. L’erreur serait de se taire. L’optimisme est une volonté. Alors… on en parle ? on met les pieds dans le plat ? on libère la parole ? Ne serait-ce pas, pour une bonne part, le rôle d’un syndicat ? Les médecins généralistes ne doivent pas faire grève ; ils doivent franchir le Rubicon.
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