« Il faut que tout change pour que rien ne change ». Ainsi se termine le livre « Le Guépard ». Ainsi peut commencer la révision de la loi de bioéthique. L’objectif : ne rien changer dans les valeurs auxquelles est attachée la République française : liberté, égalité, fraternité, dignité, laïcité, humanisme. Et, pour rester fidèle à l’esprit de celles-ci, adapter, modifier, moderniser nos règles bioéthiques.
La « bioéthique à la française » ne consiste pas à ce que nous soyons immobiles, attachés aux seules traditions sans accepter d’intégrer les progrès de la médecine, des sciences et des technologies. Cela ne suppose pas non plus d’être sourd aux évolutions sociétales bénéfiques : renforcement de l’autonomie des femmes, respect total à l’égard des personnes homosexuelles ou transgenres. La bioéthique à la française est la conjugaison du progrès et de la prudence. Des avancées perpétuelles mais pas de témérité, pas de décision aventurière.
Les plus conservateurs de nos concitoyens ne s’y sont pas trompés : pour éviter toute progression, ils préconisent l’absence de révision des lois de bioéthique. C’est bien sûr sans compter avec les découvertes, les nouveaux traitements, les évolutions de la société ou des sciences humaines et sociales.
Les progressistes sollicitent non seulement l’introduction de dispositions nouvelles mais encore la réévaluation des mesures antérieures.
Satisfaire le désir d'accès aux origines
Prenons l’exemple de l’accès aux origines. Lors du développement initial de l’insémination artificielle, les maîtres-mots étaient, comme pour le don du sang dans notre pays : gratuité et anonymat. On pensait ainsi préserver les familles. Les enfants nés de ces dons ont grandi et beaucoup ont alors exprimé le désir de disposer d’informations sur leurs origines. Le dogme du secret doit donc tomber et laisser place à la transparence. En ce domaine, les secrets de famille font des dégâts, ne peuvent plus tenir (quand des tests génétiques sont disponibles en quelques « clics ») et sont irrespectueux d’un droit fondamental des enfants à la vérité.
Rien, bien sûr, dans la révélation du recours à un donneur de sperme ne vient ôter à l’enfant son regard filial, vis-à-vis de son « vrai » père, celui qui l’aime, qui lui fournit attention, éducation et pourvoit à ses besoins pour l’amener à l’âge adulte dans les meilleures conditions d’épanouissement possibles. Ceci est encore plus évident et parfaitement accepté si l’explication lui est délivrée très tôt dans l’enfance. Le même désir d’accès à leurs origines existe, et doit être satisfait, chez les enfants nés sous X.
AMP : comment justifier une telle discrimination ?
Une question encore plus débattue est celle de l’extension de l’assistance médicale à la procréation, aux couples de femmes et aux femmes seules. Dès lors que notre société permet le mariage entre femmes et l’adoption d’enfants par ces couples comme par les femmes seules, comment imaginer maintenir l’interdit de l’AMP ? Cette assistance est, en pratique, accordée aux couples hétérosexuels ne parvenant pas à enfanter, même en l’absence de stérilité médicalement prouvée. L’extension apparaît naturelle. Sinon comment pourrait-on justifier une discrimination entre couples homosexuels et hétérosexuels ? Comment expliquer que des femmes jugées aptes à élever des enfants adoptés seraient inaptes à élever leurs propres enfants ?
Naturellement, pour des raisons d’égalité, cette extension implique une prise en charge par la solidarité nationale. Naturellement aussi, les points de vue différents doivent être respectés et nul ne peut être contraint de s’appliquer à soi-même cette modalité additionnelle de procréation. Il s’agit d’un droit nouveau non d’un devoir.
Si, demain, les femmes seules sont autorisées à procréer avec l’aide du sperme d’un donneur anonyme, il deviendra logique de leur accorder l’accès à la « procréation post mortem », c’est-à-dire l’utilisation des embryons ou spermatozoïdes de leur compagnon défunt, notamment si un projet procréatif avait été développé par le couple. Un encadrement minutieux devrait alors permettre de protéger la femme de toute pression extérieure et de toute tentation de faire un « bébé du deuil ».
Les questions de filiation sont d’une importance cruciale : les enfants doivent bénéficier de la plénitude de leurs droits, sans qu’aucune discrimination ne soit acceptable. Évidemment, ils ne peuvent être tenus responsables de leur mode de conception ni de l’orientation sexuelle de leurs parents. Toute différence de droit serait une injustice condamnable. Pour cela, il nous faut attribuer les mêmes conditions de filiation et de droits aux enfants nés de PMA dans un couple hétérosexuel, un couple homosexuel ou une « maman solo ». Les enfants nés de GPA à l’étranger doivent bénéficier de la reconnaissance de leurs deux « parents d’intention », telle qu’elle est généralement effectuée dans le pays de naissance.
Tests génétiques : les limitations n'ont plus lieu d'être
Les tests génétiques se développent largement dans notre pays, dans les conditions réglementaires ou selon des modalités parallèles (envoi de prélèvements à l’étranger). Maintenir des interdits ou limitations aussi sévères n’apparaît ni souhaitable, ni possible. Ces dépistages offrent parfois des perspectives thérapeutiques, des suggestions de mesures préventives et évitent de choisir des embryons atteints de maladies génétiques extrêmement graves. Des fœtus peuvent aussi être traités in utero dès le diagnostic prénatal effectué.
Là encore, une extension ne suppose aucune obligation et il n’est pas question d’interdire, par exemple, la naissance des enfants avec trisomie 21 dans les familles qui la désirent.
Par contre le droit à la connaissance – comme aussi le droit à l’ignorance – de ses caractéristiques génétiques peut être quelque peu élargi, assorti d’informations et explications par des spécialistes, d’où la nécessité de former un plus grand nombre de conseillers en génétique.
Il importerait d’évoquer nombre d’autres sujets, tant le champ de la bioéthique est vaste, s’étendant davantage chaque année. Faute de place, je me bornerai à les citer : autoconservation des ovocytes par vitrification, prise en charge respectueuse des personnes présentant des variations du développement sexuel, recherches sur l’embryon et les cellules souches, amélioration du don d’organes, de tissus et de cellules, plus tard neurosciences et thérapeutiques nouvelles.
Surtout, nous devons nous emparer dès maintenant du dossier très important de l’intelligence artificielle. Les bénéfices à obtenir, mais aussi la maîtrise à assurer, sont des préoccupations prioritaires qui nécessiteront des réflexions prolongées pendant quelques décennies.
Ne nous y trompons pas, la bioéthique est l’affaire de tous, non des seuls spécialistes. Son importance sera croissante et l’implication plus large des citoyens sera impérative. Les évolutions scientifiques et médicales, mais aussi sociétales, s’accélèrent. Développons ensemble un système de veille et de réflexion permanentes, nous permettant de prolonger le bon modèle français de bioéthique. Cela n’apportera pas de consensus sur tous les sujets mais le respect mutuel entre personnes ayant des points de vue divers, au sein d’une communauté nationale fière de ses valeurs communes.
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