« Je suis enceinte et polyconsommatrice héroïne/cannabis/tabac/alcool, que dois-je arrêter en premier ? ». « Depuis l'apparition de métastases osseuses, je souffre terriblement, il faut augmenter mes doses de méthadone. » Un médecin généraliste peut rencontrer de tels cas s'il suit des patients ayant un trouble de l'usage de drogue.
« On ne meurt pas d'une crise de manque, sauf s'il s'agit d'un delirium tremens lié à un syndrome de sevrage de l'alcool ». C’est probablement l’un des messages les plus importants de l’atelier organisé lors du congrès de médecine générale (CMGF). Cela étant dit, « en 40 ans de pratique, je n’ai jamais rencontré de delirium tremens qui puisse déboucher sur une épilepsie ou des troubles cardiaques », s'empresse d'ajouter le Pr Philippe Binder. « Cela relativise la fréquence de ce genre d’événements qui relève plus d'un service d'urgences que d'une urgence en médecine générale », rassure-t-il.
Car c'est une des idées reçues sur le sevrage des substances addictives telle que l'héroïne : la crainte que le patient puisse se blesser ou blesser un proche. « Rappelons un principe simple, insiste le Pr Binder. Les crises de manque sont associées à des agitations et de l'agressivité presque toujours dirigées contre soi-même ». Pour le Dr Azuar, « les consommateurs de drogues connaissent bien les situations de manque et la gèrent plutôt bien. »
Le manque, nécessaire pour initier un TSO
La sensation de manque est même un allier précieux dans la mise en place d'un traitement de substitution. « Lorsque l'on prescrit de la buprénorphine, il faut bien préciser au patient qu'il ne doit prendre son premier comprimé qu'après au moins deux heures de transpirations et d'agitations, explique le Pr Binder. Il faut que cela le soulage très vite pour qu'il associe la buprénorphine au fait d'aller mieux. »
Autre exemple d'urgence : l’appel d'un proche d'un patient traité par buprénorphine (Subutex) qui a repris de l’héroïne et ne bouge plus depuis. Le risque est alors celui de l'overdose, mais il ne s'agit plus d'une urgence de médecine générale : le 15 doit être contacté immédiatement. « Le temps que l'on arrive avec sa naloxone (Narcan), le patient est déjà mort », insiste le Pr Binder. En revanche, « il est important que le patient en ait chez lui et que lui-même et ses proches sachent s'en servir, enchaîne le Dr Azuar. Les overdoses surviennent souvent parce que les usagers de traitements de substitution aux opiacés (TSO) parce qu'ils connaissent “trop bien” le produit et ne voient parfois pas venir le risque de certaines associations ou d'un changement dans l'heure de la prise ». Autre situation à risque identifiée par le public de l'atelier : la sortie d'hôpital ou de prison, et de toute autre situation qui fait perdre la tolérance à un produit.
Le panel d'experts a également proposé un cas « semi-urgent » tiré de la patientèle du Pr Binder : celui d'une femme polyconsommatrice cannabis/tabac/alcool/opiacée enceinte. Question : quelle consommation doit-elle arrêter en premier ? Selon la littérature et le public présent lors de l'atelier, l'alcool et le tabac sont censés être prioritaires, mais il convient d'adopter une approche pragmatique. « Je n'ai pas envie de hiérarchiser, réagit le Dr Azuar. L'important reste qu'elle continue de venir, car la grossesse est un moment qu'il ne faut pas louper. » Le spécialiste recommande donc d'évaluer la motivation à arrêter pour chaque consommation, et de commencer par celle où elle est la plus forte.
Pas de discours culpabilisant
Au cours de l'atelier, les panélistes ont soumis au public un autre cas nécessitant du doigté : celui d'une patiente appelant à 10 jours de son renouvellement de TSO car elle prétend avoir perdu une boîte. Faut-il faire une prescription pour 10 jours ? Faut-il prescrire 30 jours avec un chevauchement ? Ne rien prescrire ? « On peut être face à un début de mésusage, alerte le Dr Azuar. Il faut se méfier, mais si c'est la première fois, il faut délivrer une nouvelle prescription », en n’oubliant pas de mettre la cause sur l’ordonnance qui sera contrôlée par le pharmacien. « Dans tous les cas, il ne faut pas avoir un discours culpabilisant vis-à-vis du patient, y compris dans notre gestuelle : les yeux levés au ciel, l’intonation de voix agacée, etc. », ajoute le Pr Binder.
Dernier message important : on ne touche pas à un traitement de substitution si le patient est bien équilibré, même si c'est le cardiologue ou la gynécologue qui le demande ou si c'est la demande d'un patient qui souffre de métastases osseuses. « La méthadone n'est pas un bon antalgique, insiste le Pr Binder. La buprénorphine est un peu plus efficace contre la douleur, mais même dans ces cas-là, il vaut mieux passer par des antalgiques de palier 1, puis 2 et 3. »
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