« L’utilisation ou non des antibiotiques n’est jamais simple ni anodine » , a déclaré, en introduction d’une session plénière sur les antibiotiques coorganisée avec l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), le Dr François Lacoin, membre du Collège de la médecine générale et modérateur. Alors que 75 % des antibiotiques sont prescrits en ville par les médecins généralistes, de quels outils disposent les praticiens pour améliorer le bon usage ?
Le bon usage est l’un des leviers pour lutter contre l’antibiorésistance qui s’accélère avec la surconsommation d’antibiotiques et la pression de sélection, a rappelé Alban Dhanani, responsable à l’ANSM. Or si les prescriptions ont chuté pendant la pandémie en 2020, les prescriptions sont reparties à la hausse en 2021 pour revenir quasiment au niveau d’avant-Covid. En 2022, la France est le quatrième pays plus gros consommateur d’antibiotiques en Europe dans un contexte de faible innovation pharmacologique et de pénurie d’approvisionnement. Environ la moitié des prescriptions seraient inutiles ou inappropriées dans les trois secteurs de soins (ville, hôpital, Ehpad).
Durée courte, Trod et antibiogrammes ciblés
En décembre 2023, l’ANSM a ainsi lancé une nouvelle campagne de sensibilisation grand public et émis des recommandations à destinée des patients, des parents et des professionnels de santé en collaboration avec 12 sociétés savantes et/ou professionnelles. Le directeur adjoint aux vaccins et anti-infectieux à l’ANSM a listé dans quelles situations il n’est pas recommandé de prescrire, « notamment en cas d’infections présumées virales, à savoir rhinopharyngite, laryngite, otite congestive, otite séreuse, angine aiguë chez un enfant de moins de 3 ans et en cas de test rapide de diagnostic (Trod) négatif pour les adultes et enfants de plus de trois ans, bronchiolite, bronchite aiguë, grippe et Covid-19, fièvre non expliquée ». Dans le doute et si la situation clinique le permet, « il est préconisé de ne pas prescrire d’antibiotiques et de réévaluer le besoin dans les 48 heures », ajoute-t-il.
Autre point important, la durée de traitement est réévaluée à la baisse dans la plupart des infections courantes : 5 jours pour des otites chez un enfant après l’âge de 2 ans (et quel que soit l’âge en cas de pénurie d’amoxicilline), 5 jours pour des pneumonies, 6 jours pour des angines bactériennes. « Pour les pneumonies communautaires modérément sévères, une antibiothérapie de 3 jours par une bêtalactamine semble même suffisante », note Alban Dhanani rapportant les résultats d’une étude française publiée en mars 2021 dans The Lancet. Et, alors que 80 % des angines sont d’origine virale, l’agence met en avant l’intérêt des Trod et rappelle le principe de l’ordonnance conditionnelle si le test ne peut pas être fait au cabinet.
Les CRATB et les EMA, des nouvelles ressources à mobiliser
Les recommandations et des sites tels qu’Antibioclic guident les prescripteurs. Mais quand cela ne suffit pas pour éclairer la décision, les centres régionaux en antibiothérapie (CRATB), qui se mettent en place depuis 2020, sont là pour apporter des réponses. Un maillage territorial est assuré autour des équipes multidisciplinaires en antibiothérapie (EMA), basées à l’hôpital (un par GHT). Leur mission est de venir en appui aux trois secteurs de soins (ville, établissements privés et publics, Ehpad) : « deux tiers de leur activité sont consacrés aux missions cliniques de conseils (avis, téléexpertise) en antibiothérapie », explique la Dr Marie-Anne Bouldouyre, du CRATB Île-de-France et infectiologue à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP).
Les CRATB, qui travaillent en lien avec les CPTS, apportent des outils pratiques, « par exemple une fiche sur Mycoplasma pneumoniae avant que la Haute Autorité de santé ne publie ses recommandations cet hiver, des journées de formation, des newsletters (une tous les deux à trois mois), des webinaires à retrouver sur le site ». Les CRATB font ainsi la promotion des antibiogrammes ciblés, recommandés par la HAS, qui donnent un rendu adapté à la situation clinique avec uniquement les antibiotiques recommandés.
Les médecins généralistes peuvent aussi s’engager et être des relais auprès de leurs pairs « en tant qu’ambassadeurs du bon usage des antibiotiques dans les CPTS ! » , ajoute la Dr Marie-Anne Bouldouyre.
Bientôt des aides à la décision dans le logiciel métier et des tests antigéniques grippe, Covid et VRS ?
Pour faciliter le bon usage, outre la sensibilisation du public, celle des professionnels (formation) et les interventions structurelles telles que les TROD, le Dr Josselin Le Bel, MCU de médecine générale (Université Paris Cité) et membre du comité d’experts du site Antibioclic, rappelle qu’il existe deux autres types d’interventions : « audit/feedback (Rosp) et des interventions dites contextuelles, comme des rappels des recommandations dans l’environnement de travail ou sur l’ordinateur, en système d’aide à la décision ».
Dans une enquête menée chez 1 018 médecins généralistes, il ressort que les Trod, la bandelette urinaire et Antibioclic sont très largement utilisés pour la décision en antibiothérapie, ainsi que pour justifier de la non-prescription (à l’inverse de l’ordonnance de non-prescription qui l’est très peu). Les médecins interrogés se révèlent très favorables à l’intégration aux logiciels métiers d’outils d’aide à la décision, en particulier Antibioclic, mais aussi à l’utilisation des tests antigéniques (grippe, Covid-19, VRS). « La Haute Autorité de santé a considéré fin 2023 que les tests antigéniques n’avaient pas d’intérêt à visée diagnostique mais ils pourraient en avoir pour baisser la consommation d’antibiotiques, rapporte le Dr Le Bel. Des pédiatres ont lancé des études, les données sont en cours de validation. »
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