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Dossier

Un service de sevrage respiratoire au CHU de Rouen

Réapprendre à respirer après un Covid sévère

Par Damien Coulomb - Publié le 26/06/2020
Réapprendre à respirer après un Covid sévère


SEBASTIEN TOUBON

Pour les patients atteints d'une forme sévère de Covid-19, le passage prolongé en service de réanimation expose à une fonte des muscles, y compris respiratoires, et des troubles de la déglutition. Ce sont des candidats à une unité de sevrage respiratoire, comme celle de l'hôpital Charles Nicolle à Rouen, pionnière du genre. Reportage.

Charlotte sur la tête, casaque sur le dos et masque FFP2 sur le nez, Baptiste Michaux, kinésithérapeute au CHU Charles Nicolle de Rouen, entame une séance d'exercices avec Monsieur P.

Âgé de 60 ans, ce patient est hospitalisé depuis plus de trois mois à l'hôpital Charles Nicolle au CHU de Rouen, à la suite d'une forme sévère de Covid-19. Sorti de réanimation, il est désormais dans l'unité de sevrage respiratoire qui doit lui faire regagner suffisamment d'autonomie musculaire pour rejoindre une unité de soins de suite et de réadaptation. Pour l'heure, sa voix est encore difficilement audible, et il ne tient debout que quelques minutes.

Le cas de monsieur P est particulier : ses tests PCR sont obstinément positifs, ce qui oblige les médecins à respecter des mesures de protection. Dans la chambre voisine, Monsieur L est plus avancé dans la récupération, mais il reçoit toujours de l'oxygène à haut débit.

Une unité pionnière

Forte de six lits, l'unité SRPR (soin de rééducation post réanimation) de sevrage respiratoire où nous nous trouvons a été la première de ce type en France, créée en 2004. Très sollicitée depuis le début de l'épidémie de Covid-19, elle accueille déjà en temps normal, principalement les patients au décours d'affections graves, « il s’agit souvent de chocs septiques, parfois postopératoires, nécessitant de longues réanimations et très consommateurs en calories et en muscle », explique la Dr Dorothée Carpentier spécialiste en médecine intensive et réanimation à l'hôpital Charles Nicolle et responsable de cette unité.

Au plus fort de l'épidémie, le CHU de Rouen a accueilli 120 patients en réanimation pour cause d'infection sévère par le SARS-CoV-2, mais tous n'étaient pas éligibles au sevrage respiratoire. « Nous n'accueillons que ceux chez qui cette prise en charge a un sens, explique le Dr Gaëtan Béduneau investi dans cette unité depuis sa création. Environ 10 % des patients en réanimation sont susceptibles de voir leur prise en charge marqué par un sevrage respiratoire qualifié de prolongé, dont la moitié aura besoin d'une trachéotomie. »

Les patients Covid-19 présentent peu de spécificités, comparés aux admis habituellement. Toutefois ces malades « semblent récupérer plus rapidement, ce qui nous a un peu surpris, explique le Dr Carpentier. Cela peut s'expliquer par le fait qu'il s'agit de patients plus jeunes, et plus rarement atteints de maladies respiratoires chroniques ou d'obésité. Ils n'avaient pas d'expérience de l'hôpital et sont très marqués par leur séjour. » Et le Dr Béduneau de poursuivre : « la réanimation est toujours extrêmement traumatisante, mais le Covid est en plus une expérience collective. Les patients savaient qu'il s'agissait d'une épidémie nouvelle, et n'étaient pas en mesure de prendre des nouvelles de leurs proches. » Une psychiatre passe une fois par semaine, des psychologues interviennent dans l’unité. Pour rétablir un rythme de sommeil très détérioré par la perte des repères jour/nuit, cette partie du service de médecine intensive et réanimation est la seule où toutes les lumières sont éteintes la nuit.

Les médecins rouennais constatent aussi une grande fréquence de lésions ORL, à l'origine des fréquents troubles de la déglutition. « Ces patients n'ont en général pas une neuromyopathie importante, mais ils sont très intolérants à l’effort, présentent une asthénie qui dure longtemps et désaturent beaucoup, même quand il n'y a pas eu de support ventilatoire invasif, poursuit Baptiste Michaux. Ce qui nous oblige à faire des exercices d'un quart d'heure maximum, répétés tout au long de la journée. »

Le concept même de sevrage respiratoire n'est pas très répandu en France et doit encore être validé scientifiquement. Le grand nombre de patients Covid +, aux caractéristiques très homogènes, va alimenter le registre national des SRPR dédié au sevrage respiratoire. Ces nouvelles données devraient permettre de savoir si cette approche améliore la récupération tout en réduisant les durées d'hospitalisation.

Une consultation à trois mois

Le jour de notre venue, une toute nouvelle consultation pluridisciplinaire visant à évaluer les risques de comorbidités trois mois après le séjour en réanimation accueillait ses premiers patients au CHU de Rouen, mettant à contribution une nutritionniste, une psychologue et un spécialiste de médecine physique et réadaptation. « Cette consultation répond à une demande des patients. Nous essayons d'évaluer la gêne qu'ils ressentent dans leur vie de tous les jours », explique le Dr Jean-Baptiste Poppe, du centre régional de médecine physique et de réadaptation « Les Herbiers ».

Les signes classiques recherchés sont le stress post-traumatique, un déficit dans la récupération fonctionnelle et une dénutrition à distance. « Le syndrome de stress post-traumatique est assez connu après un séjour en réanimation », explique le Dr Carpentier. Si deux des patientes vues cet après-midi ont très bien récupéré, la troisième présente d'importants troubles fonctionnels et un stress post-traumatique qui posent la question d'une réhospitalisation. « Il y a eu un très mauvais vécu de son hospitalisation avec un terrain psychiatrique défavorable, conclut le Dr Poppe. Notre consultation est typiquement conçue pour repérer ces patients. » À terme, ce type de collaboration pluridisciplinaire pourrait se généraliser à l'ensemble des patients ayant fait un séjour prolongé en réanimation.

Damien Coulomb