« L’hyperglycémie maternelle précoce exerce un poids majeur, indépendant des autres facteurs de risque, sur la survenue d’une macrosomie fœtale et, à terme, sur le risque de développement d’un diabète de type 2 chez le futur enfant à naître. C’est globalement le message délivré au congrès de la Société francophone du diabète cette année à Nice, qui a souligné le continuum entre le diabète gestationnel et le diabète antérieur à la grossesse (1) », résume le Pr Nicolas Chevalier (CHU de Nice).
Que ce soit au niveau épidémiologique, métabolique et in fine épigénétique, tous les travaux convergent. L’hyperglycémie pèse, dès le tout début de la grossesse, sur le pronostic fœtal en général, sur le risque de macrosomie fœtale et donc sur le risque de développement d’un DT2 chez l’enfant à naître.
Redécouvrir le placenta comme un organe endocrinien
« Partant d’un travail dédié à la physiopathologie du placenta et au transfert d’énergie vers le fœtus, le Pr Fabrizio Andreelli (CHU Pitié Salpêtrière, Paris) a montré que la glycémie maternelle, dans les toutes premières semaines du développement fœtal, est l’élément affectant le plus fortement la morbimorbidité fœtale. Cela se situe dans les 5-6 premières semaines après fécondation, bien avant le dépistage glycémique, recommandé chez la femme enceinte en cas de facteur de risque de diabète gestationnel », explique le Pr Chevalier. Mais aussi avant, même, dans nombre de cas, que la mère elle-même ne sache être enceinte... L’HbA1c, évaluée au même moment (avant la 6e semaine), ne semble en revanche pas influer significativement le pronostic fœtal, au contraire de celle dosée en fin de grossesse. « Ces données suggèrent que nous ne disposons pas, à ce jour, des bons marqueurs en termes de toxicité glycémique fœtale précoce. L’avènement des approches ‘omiques’ permettra certainement, dans les prochaines années, d’y remédier et de revoir, au passage, le placenta comme un organe à fonction endocrine propre », commente le Pr Chevalier.
Un levier de prévention majeur chez les futures mères
Un second exposé, présenté par le Pr Patrick Ritz (CHU de Toulouse), a apporté, de son côté, de nouveaux éléments sur les interrelations entre prise de poids maternelle, contrôle métabolique et pronostic fœtal. « Plusieurs études avaient essayé de montrer que l’activité physique et le contrôle du poids maternel pouvaient améliorer le pronostic métabolique maternofœtal (survenue d’un diabète gestationnel, macrosomie fœtale), mais avec des résultats discordants », rappelle le Pr Chevalier. Une métaanalyse récente, rapportée à la SFD, explique pourquoi. Elle révèle que, finalement, seul le contrôle glycémique (HbA1c maternel en cours de grossesse) est corrélé au risque de macrosomie, et ce, de manière à la fois significative et indépendante des autres facteurs de risque. « En somme, c’est l’exposition du fœtus à une hyperglycémie chronique qui constitue la pierre angulaire du développement d’une macrosomie fœtale et, à plus long terme, d’un surrisque de diabète de type 2, résume le Pr Chevalier. Si l’on en manquait, ce travail original apporte un argument supplémentaire à l’affirmation que la macrosomie n’est pas une fatalité. » Une prise en charge précoce des hyperglycémies maternelles en réduit drastiquement le risque. Seul bémol, le risque de macrosomie s’avérant indépendant du poids de la mère dans cette étude, cela supposerait de dépister toutes les femmes enceintes le plus précocement possible. « En pratique clinique, il faudrait dépister les hyperglycémies en amont, dès le désir de grossesse, et les contrôler tout du long de la grossesse. Ce qu’on s’attache, pour rappel, à faire chez les diabétiques de type 1 et 2 enceintes, dès la période prénatale. Mais élargir cette stratégie à toutes les femmes représente une importante charge de travail », souligne le Pr Chevalier.
Le DT2 est-il plus dangereux que le DT1 ?
La dernière présentation de cette session était consacrée à la comparaison des issues de grossesses menées chez des patientes atteintes de diabète de type 1 et 2 (DT1 et DT2). Si les données étaient encore rares il y a une dizaine d’années, les grossesses chez les patientes DT2 ne sont plus exceptionnelles : leur prévalence a doublé en l’espace de 10 ans. La Pr Anne Vambergue (CHRU de Lille) a rapporté les données de littérature, et montré que les complications maternelles (hypertension artérielle gravidique, prise pondérale, césarienne) et fœtales (macrosomie, retard de croissance intra-utérin, prématurité, mort fœtale in utero) sont significativement plus fréquentes chez les patientes DT2. Bien sûr, ces patientes sont souvent vues la grossesse déjà débutée, ce qui peut expliquer cette augmentation de morbimortalité, compte tenu de l’importance des hyperglycémies précoces, évoquée plus haut.
Les facteurs environnementaux influent sur l’épigénétique
L’ensemble de cette session rappelle fortement le concept de programmation fœtale, et son impact sur le développement ultérieur, notamment la survenue d’un diabète à l’âge adulte. « À Nice, nous travaillons depuis plusieurs années sur la problématique de programmation au cours de la vie fœtale, vers tel ou tel devenir métabolique. Plusieurs travaux ont déjà largement démontré que l’exposition maternelle à des perturbateurs endocriniens (PE) majore le risque de développement de DT2 chez la mère, mais aussi dans sa descendance (2,3), rappelle le Pr Chevalier. Une meilleure compréhension des modifications épigénétiques induites par ces polluants est indispensable. » Celles-ci se transmettent, d’une génération à l’autre, notamment via un mécanisme de méthylation/déméthylation des histones enrobant l’ADN, à même de masquer ou démasquer les sites promoteurs ou répresseurs de l’expression des gènes codants pour une protéine donnée (4).
Des travaux menés sur des modèles murins ont montré que l’hyperglycémie maternelle induit, elle aussi, et même à bas bruit, des modifications épigénétiques avec, à la clé, une majoration de la prédisposition fœtale au DT2 de la descendance (5). Une piste sérieuse pour mieux comprendre l’épidémie d’obésité et de diabète de type 2 actuelle.
Exergue : « Nous ne disposons pas, à ce jour, des bons marqueurs en termes de toxicité glycémique fœtale précoce »
Entretien avec le Pr Nicolas Chevalier, CHU de Nice
(1) SFD 2022. Continuum entre le diabète gestationnel et le diabète antérieur à la grossesse
(2) J Braun et al. Nat Rev Endocrinol. 2017;13: 161-73
(3) Y Liu et al. Environ Health Perspect 2022;130:37005
(4) A Houshmand-Oeregaard et al. Clin. Epigenet. 2017;9:37
(5) N Chevalier. Presse Med 2016; 45:88-97
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