Mortalité maternelle : l’engagement nécessaire des politiques publiques

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Publié le 18/06/2024
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Faire reculer la mortalité maternelle n’est pas du seul ressort des professionnels de l’obstétrique : cela implique aussi une politique de santé publique davantage tournée vers la santé globale des femmes.

Les inégalités sociales sont associées à une moindre qualité de suivi

Les inégalités sociales sont associées à une moindre qualité de suivi
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Les données les plus récentes de l’enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) confirment certaines tendances du dernier rapport de 2021, notamment une domination des causes de mortalité maternelle par suicide (lire aussi p. 48) et maladies cardiovasculaires. « Ce ne sont pas des affections en lien direct avec la grossesse, comme l’étaient auparavant les hémorragies de la délivrance. Cela témoigne à la fois des gros progrès réalisés en obstétrique et de la nécessité de considérer toutes les dimensions de la santé de la femme pendant la grossesse », souligne la Dr Catherine Deneux-Tharaux, directrice de recherche à l’Inserm, équipe de recherche en épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique (Épopé), université Paris-Cité.

Une organisation des soins à optimiser

Les suicides s’accompagnent pour 80 % de facteurs évitables, ce qui implique une formation à la santé mentale de la part des soignants de l’obstétrique pour les identifier, et un fonctionnement en multidisciplinarité, avec les spécialistes de ces maladies et les soignants de première ligne (médecins traitants, sages-femmes), qui doivent signaler une éventuelle vulnérabilité psychique à l’équipe d’obstétrique, avant de reprendre la main lorsque les femmes sont de retour à domicile.

L’organisation des soins est donc au cœur du problème. « Parmi les femmes qui se suicident, la moitié avait une vulnérabilité psychique antérieure à la grossesse (trouble psychiatrique, antécédent de dépression…) et, parmi elles, ce terrain n’était connu par l’équipe obstétricale que dans la moitié des cas », déplore la Dr Deneux-Tharaux. Il faut aussi passer le message aux femmes, et à leur entourage, qu’il est dans leur intérêt de discuter de ces sujets et de ne pas les cacher. Les soignants doivent mieux communiquer à ce sujet et mieux coopérer entre eux.

Enfin, les équipes obstétricales doivent savoir à qui adresser une femme enceinte chez qui ils ont décelé une fragilité psychique. Cela demande donc à mettre en place des protocoles de prise en charge et un maillage du territoire, par une offre de soins en santé mentale périnatale. Avec le plan des 1 000 premiers jours, des moyens ont bien été alloués à la psychiatrie périnatale mais les initiatives sont encore préliminaires et, surtout, assez inégales sur le plan territorial.

Un problème sociétal

L’âge des mères (lire aussi p. 46), reste aussi un point de vulnérabilité pour la mortalité maternelle, notamment cardiovasculaire : après 35 ans, ce taux est multiplié par 2 à 2,5 et, à partir de 40 ans, par 3 à 4. Or l’âge de la maternité continue d’augmenter en France : plus de 27 % des femmes enceintes ont 35 ans ou plus. « C’est un vrai problème sociétal dont les politiques doivent impérativement s’emparer, car retarder l’âge de sa grossesse pour ne pas être pénalisée sur le plan professionnel ne relève pas seulement d’un choix individuel », souligne la Dr Deneux-Tharaux. Or, quand une maladie survient chez une femme enceinte plus âgée, les risques que l’événement aigu devienne mortel (même si cela se produit rarement) sont plus élevés.

L’âge de la maternité, qui augmente en France, reste un point de vulnérabilité pour l’événement cardiovasculaire mortel

 

Outre l’âge maternel, les facteurs de vulnérabilité sociale sont déterminants. Dans les départements et régions d’Outre-mer (Drom), le taux de mortalité maternelle est deux fois plus important qu’en métropole (il l’était encore quatre fois plus il y a quelques années). Et, au sein de l’Hexagone, le taux de mortalité maternelle, qui était plus élevé en Île-de-France (d’1,5 fois), a été rejoint par les Hauts-de-France et la région Paca. Les causes de cette dégradation sont en cours d’analyse mais les résultats préliminaires pointent la précarité sociale. Les inégalités et vulnérabilités sociales sont associées à plus d’obésité, de tabagisme, moins d’accès aux soins et donc une qualité moindre du suivi prénatal.

Cela joue sur les risques somatiques, notamment sur la mortalité cardiovasculaire et également sur la santé mentale. Des initiatives sont prises ici et là pour ces femmes, mais leur généralisation serait nécessaire. « Le fait que des pathologies non obstétricales soient devenues les premières causes de mortalité maternelle montre bien que le défaut de prise en charge globale et le manque d’acteurs de soins primaires peuvent avoir des répercussions », résume la Dr Deneux-Tharaux.

Entretien avec la Dr Catherine Deneux-Tharaux (Inserm)

Anticiper la fermeture des petites maternités

Si la mortalité par hémorragie lors de l’accouchement est devenue très rare (un peu plus élevée que chez nos voisins européens, tout de même), elle reste une des causes les plus évitables (dans 95 % des cas) de décès maternel. Elle concerne souvent les petites maternités peu dotées, qui n’ont pas forcément les capacités humaines et techniques pour traiter les accouchements compliqués, avec rupture utérine, césarienne ou réanimation en urgence. Pour la Dr Catherine Deneux-Tharaux (Inserm), « il est nécessaire de repenser, en urgence, l’organisation des maternités en France car, de toute façon, les moyens humains viendront à manquer. Les jeunes obstétriciens ne veulent plus travailler de façon isolée et les petites maternités fermeront ».

Dr Nathalie Szapiro

Source : Le Quotidien du Médecin