Dr Marc Noizet : « Rien ne nous avait préparés à un tel évènement »

Par
Publié le 09/06/2020
Article réservé aux abonnés

En première ligne dans le Grand Est, le Dr Marc Noizet (GHR de Mulhouse) livre son retour d’expérience Covid-19. De quoi faire avancer les protocoles mais aussi l’hôpital lui-même, en pleine réorganisation.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Comment décririez-vous la situation que vous avez traversée dans le Grand Est ?

Dr MARC NOIZET : La situation était au-delà de tout plan préétabli. Elle a nécessité de s’adapter au jour le jour. Ce qui fonctionnait la veille ne suffisait plus le lendemain. Face à un tel en enjeu, les urgences ont montré leur capacité à se transformer et les soignants leur profond engagement humain.

Dans la semaine suivant la réunion évangélique du 17 au 23 février, les premiers patients sont arrivés. D’abord adressés au Centre de référence à Strasbourg, ils ont très vite été trop nombreux. Un centre de prélèvement a été mis en place à Mulhouse. Trois jours après, il était saturé. Il a fallu multiplier les créneaux. Une semaine plus tard, après l’annonce officielle d’un cluster dans le Haut Rhin, le 15 était débordé.

Pour faire face, on a expérimenté de nouvelles organisations fondées sur prise d’appel et tri par les auxiliaires de régulation, puis rappel des patients par des médecins formés à cette régulation. On a aussi quintuplé les effectifs du Centre 15 avec l’aide d’étudiants, d’internes et de médecins généralistes et spécialistes.

Les urgences de leur côté ont dû faire face à un afflux de patients graves et au souci de protection des soignants. Leur organisation a dû être transformée de jour en jour avec une grande flexibilité, très éprouvante pour tous. Très vite, nos trois postes de déchocage ont fonctionné en continu. Les patients attendaient sur les brancards. On intubait à la chaîne allant jusqu’à 20 patients par jour. C’était très impressionnant.

Comment avez-vous fait face une fois les services saturés ?

Dès le 12 mars, la réanimation était saturée. Dès lors nous avons dû organiser une lourde logistique de transfert vers d’autres réanimations pour libérer de la place. Au total, nous avons transféré 300 patients pour le Haut Rhin dont 200 patients pour le seul secteur de Mulhouse. C’est la moitié des transferts effectués en France entière.

En parallèle, nous avons aussi accompagné la réorganisation de l’hôpital : lits d’hospitalisation Covid-19, lits de réanimation complémentaires… Globalement que ce soit au niveau de la régulation du centre 15, des urgences et même de l’hôpital, il a fallu sans cesse imaginer des solutions, les faire évoluer et tenir bon. Ceci alors même que de nombreux soignants étaient contaminés.

Une double crise pour les urgences de Mulhouse qui sortaient d’un conflit social ?

En 2019, 17 des 25 praticiens des urgences de Mulhouse avaient démissionné. Par conséquent, en mars, quand le Covid-19 est arrivé, le service ne comptait toujours que 12 à 13 médecins. Heureusement, des démissionnaires, des anciens et des remplaçants sont spontanément venus prêter main-forte. En parallèle, les services techniques et l’administration se sont pliés en quatre. C’est grâce à cet énorme élan de solidarité que nous avons pu traverser la crise, faire face et délivrer des soins de qualité.

Et, comme la crise a été l’occasion de mettre en place et tester très vite de nouvelles organisations, on peut dire que le Covid-19 a fait avancer le service à la fois en termes d’organisation et de cohésion. Aujourd’hui nous travaillons sur les retours d’expérience. Ils vont nous permettre de voir ce qu’il faut garder et ce qui doit évoluer pour progresser encore.

Redoutez-vous la seconde vague ?

Plus qu’une seconde vague Covid-19, c’est une seconde vague non Covid-19 qui est à craindre vers la mi-juin dans notre région. Vu les importants retards de soins, les autres urgences peuvent en effet monter très vite et saturer. Or, en temps normal, l’offre est déjà saturée en région. L’hôpital, en réorganisation, tente de s’y préparer. Cela va supposer de garder une marge d’absorption en spécialités pour pouvoir accueillir du non programmé.

Propos recueillis par Pascale Solère

Source : Le Quotidien du médecin