Il vient juste d’atterrir. Michel Klerlein, médecin coordonnateur à Air France est de retour de Hong Kong pour faire des mesures d’hygrométrie à bord d’un Airbus A 380 sur lequel il y avait des plaintes du personnel navigant. Les médecins du travail sont sur le terrain, au plus près des équipages y compris en altitude.
La semaine prochaine, l’un de ses collègues s’envole pour Lima où des cas récurrents de gastro-entérite parmi le personnel navigant posent problème. « En pleine épidémie, on suit les équipages comme en Sierra Leone. Je suis allé à Bamako lorsqu’il y a eu des cas Ebola au Mali pour rassurer les équipages et auditer la zone aéroportuaire et hôtelière. Nous mettons tout en œuvre pour éviter de mettre en contact le personnel d’Air France dans les zones à risques », explique Michel Klerlein qui pilote 28 médecins du travail dans ce service autonome. Une flotte de confrères qui assure le suivi de 46 830 employés.
Les 20 000 hôtesses, stewards, chefs de cabine, pilotes et copilotes font l’objet d’une attention particulière par 9 médecins dédiés accompagnés d’une vingtaine d’infirmières. Pour les plus petites escales comme Biarritz et Lyon, 3 000 autres salariés sont suivis par un service interentreprise.
Regarder ailleurs et se poser à Air France
Pas question pour lui de prendre la parole sur le triste sort réservé au DRH d’Air France, que chacun a pu découvrir torse nu sur son écran de télévision il y a quelques semaines. Des tensions internes et des débordements qui ne seraient liés qu’à quelques individus sans lien direct avec la réalité quotidienne et le climat dans l’entreprise.
Son atterrissage à Air France ? Généraliste, il ne s’est finalement jamais s’installé. Une proposition d’association ne s’est pas réalisée, ce qu’il ne regrette manifestement pas. Un projet avorté qui lui a donné envie de regarder un peu ailleurs en direction de la médecine du travail. Formé par le concours européen, une voie d’accès assez peu connue, il obtient son DES sous réserve de faire deux années d’interne, accompagné d’une reconnaissance de quelques semestres. En 1994, il prend son premier poste dans un service interentreprise à Strasbourg. Cinq ans pendant lesquels il se spécialise aussi en médecine aéronautique. Cette capacité en poche, c’est une annonce publiée dans « le Quotidien du Médecin » qui lui permet d’arriver à Air France. « J’ai commencé à Air France industries pour suivre le personnel dédié aux activités de maintenance aéronautique. À l’époque il y avait déjà 10 000 salariés et en quelques années j’ai évolué vers la fonction de médecin coordonnateur entreprise », se souvient Michel Klerlein qui a quitté la partie maintenance en 2012. Aujourd’hui, il continue de consacrer 30 % de son temps à l’observation des conditions de travail en vie réelle, ce qui lui tient très à cœur : « Le point fort de notre mission est bien d’aller au-delà de l’activité clinique. Ce tiers-temps que l’on appelle aussi action en milieu de travail, nous permet d’agir sur la prévention collective avec des actions qui vont bénéficier à tous. »
Stress et paludisme
Chaque jour, des visites programmées permettent aux médecins du travail de rencontrer à tour de rôle, l’ensemble du personnel tous les deux ans. Le Dr Klerlein explique la marche à suivre : « Nous leur demandons d’abord de répondre à un rapide questionnaire sur la perception du stress pour déceler les risques psychosociaux avant de le rencontrer. Il s’agit de percevoir les facteurs de risques professionnels qui peuvent induire du stress dont nous avons mis en place un observatoire constant. » Le baromètre de l’état de santé psychologique des salariés est exclusivement destiné à aider l’entreprise à agir, insiste le médecin. Au sommet de cette échelle du stress culminent invariablement depuis plusieurs années trois premiers « stresseurs professionnels » du personnel navigant : la conciliation entre vie professionnelle et personnelle, talonnée par la confiance dans le management et enfin les risques liés aux contraintes de l’environnement physique. « Chez les personnels d’escale, nous retrouvons cette difficulté de conciliation entre vie professionnelle et privée, mais ces derniers temps nous enregistrons aussi des craintes vis-à-vis de l’avenir. La question du management est fondamentale et le supérieur hiérarchique immédiat est une grande caractéristique d’Air France où très peu de problèmes existent entre les individus d’une même équipe ou avec la hiérarchie de proximité. C’est d’un élément de cohésion sociale », souligne Michel Klerlein.
Après avoir répondu au questionnaire, les personnels rencontrent les infirmières pour réaliser les tests auditifs et contrôler la vue. Un dépistage naturellement calibré selon des risques professionnels de chacun. Chez les personnels navigants, c’est assez univoque. Ils sont réalisés tous les deux ou quatre ans. Examen classique des urines et lorsque le terrain s’y prête, vérification approfondie du principal risque professionnel : le bon fonctionnement de la trompe d’Eustache. Tous ces examens sont réalisés dans le cadre du service médical Air France. « Nous les rencontrons ensuite en consultation pour un interrogatoire assez poussé qui vise à rappeler la conscience des risques et notamment celui du paludisme. C’est un grand problème pour le personnel navigant car sur de courtes escales, mais régulières dans des pays à forte endémie, nous ne pouvons pas leur donner de chimioprophylaxie permanente. Nous fondons essentiellement notre prévention sur des mesures antivectorielles avec une pulvérisation rémanente sur les vêtements et la peau en recommandant de ne pas sortir à certaines heures », confie Michel Klerlein qui attire notre attention sur l’importance de la prévention secondaire. Chaque symptôme qui évoque un refroidissement, un peu de fièvre, un malaise doit être a priori identifié comme un paludisme. Chaque personnel navigant est équipé d’une carte en deux langues expliquant sa fonction, l’existence de ce risque, et demandant au personnel hospitalier du monde entier d’accepter l’idée de faire un test même en cas de suspicion d’une simple virose ou d’une grippe. « C’est un combat quotidien, car lorsqu’un patient arrive chez un médecin généraliste ou spécialiste, en demandant un dépistage du paludisme, cela les fait rire et les énerve souvent, car les patients ne vont pas leur apprendre leur métier. C’est parfaitement vrai et je partage cette idée même si cela reste systématiquement indispensable pour le personnel navigant », conclut Michel Klerlein.
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