« On considère que la dénutrition touche en général 5 à 10 % des sujets âgés vivant à domicile, soit plus de 400 000 personnes. Parmi elles, bon nombre ne sont ni dépistées, ni prises en charge. Et plus la dépendance augmente, plus les sujets tendent à être dénutris. Ainsi, cette incidence atteint 25 % chez les personnes âgées nécessitant l'intervention d'une aide professionnelle à domicile, 35 % en EHPAD, et 50 % en milieu hospitalier », constate la Pr Agathe Raynaud-Simon.
Pour rappel, le vieillissement n'est pas en soi une cause de dénutrition, qui est surtout liée aux morbidités, au manque d'appétit et d'exercice. Au-delà des sujets âgés, elle n'épargne en effet ni les adultes (surtout lors de cancers, insuffisances rénales ou cardiaques…), ni les enfants (10 % des cas d’hospitalisation). Globalement en France, la dénutrition touche deux millions de personnes.
Sensibiliser lors d’une semaine dédiée
« La dénutrition vient majorer la morbimortalité, les hospitalisations et réhospitalisations. Son dépistage, sa prévention et sa prise en charge ont un impact significatif sur les répercussions. C'est pourquoi, il faut sensibiliser les aidants et tous les soignants à cette problématique, explique la gériatre. Dans cette optique, une Semaine nationale de la dénutrition a été créée l'an dernier (www.luttecontreladenutrition.fr) dans la cadre du Programme national nutrition santé du ministère des Solidarités et de la Santé. L’organisation de cette semaine a été confiée au collectif de lutte contre la dénutrition ». Le but est de sensibiliser largement le public à cette problématique via de multiples actions menées en région avec différents partenaires (notamment les Agences régionales de santé, les associations d'aides à domicile…), mais aussi par la distribution de flyers et la mise en ligne des vidéos de sensibilisation. « La seconde édition se tient cette année du 12 au 19 novembre 2021, souligne la cheffe du service gériatrie. C’est aussi l’occasion de communiquer sur la réactualisation des critères diagnostiques de la dénutrition chez les adultes de 70 ans et plus (recommandation de la Haute Autorité de santé 2021). Comme chez l'enfant et l'adulte, ils s'appuient désormais sur l’association de critères phénotypiques (perte de poids, IMC, sarcopénie) et étiologiques (diminution des apports alimentaires, pathologies). Ces nouveaux critères seront détaillés en session lors du congrès de la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG) ».
Savoir dépister
« On doit évoquer une dénutrition pour une perte de poids inférieur à 3 kg chez une personne âgée. C’est un signal d'alarme », rappelle Agathe Raynaud-Simon. Ce qui suppose de suivre préventivement la courbe de poids au moyen de pesées régulières. La dénutrition est en effet souvent prise en charge trop tardivement. « Il faut aussi réfléchir peut-être à d'autres indicateurs chez le sujet âgé car, lors du vieillissement, la corpulence et la composition corporelle évoluent avec une perte de masse musculaire, en partie liée à la sédentarité. En effet, tout ne se résume pas au poids. On peut très bien être à la fois obèse et dénutri », précise la gériatre.
Une prise en charge multidisciplinaire
« La prise en charge est davantage bénéfique si elle est pluriprofessionnelle. Il convient d'associer médecin et diététicien pour adapter aux goûts et habitudes du patient les conseils diététiques, les enrichissements de plats et les compléments nutritionnels oraux (CNO) utilisés pour atteindre les objectifs caloriques et protéiques », note la Pr Raynaud-Simon. En effet, ces CNO sont très utiles, sous réserve de n'être pas pris à la place des repas. « Il faut aussi proposer des collations entre les repas. Enfin, en parallèle on doit mettre en place une activité physique adaptée », ajoute la gériatre.
Des compléments bénéfiques
En 2019, une étude française prospective de cohorte a montré, chez les sujets dénutris de plus de 70 ans vivant à domicile, le bénéfice des CNO prescrits par le médecin traitant, sur les coûts de santé et le risque d'hospitalisation (1). Les coûts de santé (médicaments, hospitalisations…) étaient réduits quand les CNO apportaient plus de 500 kcal par jour (1 390 versus 3 500 euros). Quant au risque d'hospitalisation, il diminuait d'un facteur trois dès que cet apport était supérieur à 500 kcal par jour, et d'un facteur cinq dès que l'apport protéique dépassait 30 grammes par jour.
D’autre part, une vaste étude d'intervention suisse, Effort, a été menée chez des sujets hospitalisés à risque de dénutrition (2). Elle montre qu'une intervention diététique, comparée aux « soins usuels », améliore significativement le pronostic des patients, avec un bénéfice sur la mortalité (7 % versus 10 % à 30 jours ; RR = 0,65 [0,5-0,9]).
Enfin, chez les plus de 65 ans, une méta-analyse publiée récemment s'est penchée sur l’effet des interventions nutritionnelles et de l’activité physique sur les réhospitalisations (3). Au total, 11 études ont été passées au crible, dont cinq sur la nutrition, cinq sur l'activité physique et une associant les deux types d'interventions. Les résultats mettent en évidence l’effet significatif des interventions nutritionnelles, associées globalement à une réduction de 15 % des réhospitalisations. En revanche, l'activité physique seule ne semble pas réduire les réadmissions.
D'après un entretien avec la Pr Agathe Raynaud-Simon, département de gériatrie APHP Nord, présidente de la Fédération française de nutrition et du CLAN central de l’AP-HP, trésorière du Collectif de lutte contre la dénutrition, membre de Gérond’if et du groupe des experts en nutrition et gériatrie de la SFGG.
(1) Seguy D et al. Clin Nutr 2020;39:1900-07.
(2) Schuetz P et al. Lancet 2019;393:2312–21
(3) Lærum-Onsager E et al. Int J Behav Nutr Phys Act 2021;18:62.
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