Le reflux gastro-œsophagien (RGO) a souvent été accusé d’être impliqué dans de nombreuses pathologies, non sans conséquence. La préconisation du coucher ventral des nourrissons au début des années 1980, position considérée comme la meilleure pour éviter les reflux, s’est accompagnée d’une forte augmentation des morts subites (multipliées par sept !). Quelques années plus tard on a assisté à un recours très large au cisapride pour les régurgitations, molécule depuis retirée du marché en raison de ses effets secondaires, puis à des prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM) de la dompéridone, qui a fait l’objet de plusieurs alertes, et plus récemment à une explosion de l’utilisation des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), très souvent en dehors des indications de l’AMM (œsophagite érosive et reflux prouvé par pH-métrie) et des recommandations des sociétés savantes. « Une classe thérapeutique qui a un effet sur la sécrétion acide gastrique, mais aucun sur le nombre et l’abondance des reflux, et qui n’est pas dénuée d’effets secondaires, avec notamment un risque accru de pneumopathies et de gastroentérites », rappelle le Dr Olivier Mouterde.
Immaturité du système antireflux
Le RGO, qui définit le passage de liquide gastrique dans l’œsophage, n’est pas une maladie mais un phénomène physiologique, qui se produit quotidiennement chez les nourrissons, les enfants et les adultes, et est le plus souvent sans conséquences. Chez le nourrisson, lorsqu’il est extériorisé, le reflux se traduit par des régurgitations, qui selon leur importance et leur abondance, sont plus ou moins bien tolérées par les parents. Le RGO toucherait de 45 à 65 % des nourrissons, qui sont particulièrement exposés à ce phénomène du fait de l’immaturité supposée du système antireflux, mais surtout de la quantité de liquide (associée à de l’air) ingérée par jour (130 à 150 mL/kg, ce qui équivaut à neuf litres chez un adulte de 70 kg), et de la position allongée la majeure partie du temps.
Le reflux physiologique, qui peut être défini comme celui sans conséquences sur la santé ni la qualité de vie, ne relève que de mesures hygiénodiététiques :
- position proclive ventrale pour le rot, mais position de sommeil, comme pour tous les nourrissons, en décubitus dorsal ;
- rectification du régime en cas d’erreurs ;
- utilisation d’un lait épaissi à l’amidon ou à la caroube (laits AR) ;
- réassurance des parents, en évitant de parler du reflux comme d’une maladie ;
- suspension à base d’alginate, sans grande preuve d’efficacité chez le nourrisson, déconseillé en traitement continu.
Le fait de relever la tête du lit lors du sommeil n’a pas fait la preuve de son efficacité, les massages, pré-ou probiotiques ne sont pas indiqués.
Peu de place pour les IPP
Face à un reflux sévère impactant la vie quotidienne, a fortiori s’il est associé à d’autres signes digestifs (troubles du transit), un retard de croissance et/ou des antécédents d’allergie, il faut suspecter une autre pathologie, notamment une allergie aux protéines du lait de vache. On peut alors proposer, dans une démarche de test thérapeutique, un hydrolysat poussé de protéines du lait de vache pendant deux à quatre semaines.
L’attitude est la même devant d’autres symptômes fréquents, souvent attribués au reflux : pleurs, tortillements, refus du biberon, réveils nocturnes… Il n’y a aucune preuve du rôle du reflux et de l’efficacité des IPP dans les études contre placebo.
En cas d’échec, un avis auprès d’un gastropédiatre est préconisé. Si son accès est difficile, un traitement d’épreuve par IPP pendant quatre à huit semaines peut en dernier recours être proposé, « en respectant trois conditions, car il s’agit d’une prescription hors AMM, rappelle le Dr Mouterde, information éclairée des parents, motivation écrite dans le dossier et mention « hors AMM » sur l’ordonnance ». L’inconvénient du traitement d’épreuve est que l’effet placebo des IPP est important (56 % des cas dans une vaste étude), et l’amélioration éventuelle des symptômes d’inconfort chez le nourrisson peut à tort venir conforter le diagnostic de « reflux pathologique » et entraîner des traitements prolongés indus par IPP.
Quant au reflux « atypique », mis en cause en cas de manifestations extradigestives, il doit être évoquée avec prudence et, si les symptômes sont sévères, exploré avant éventuel traitement. Cependant aucune preuve ne vient étayer l’efficacité des IPP dans les manifestations ORL ou respiratoires, y compris en cas de reflux prouvé.
« En pratique clinique, il est judicieux de prendre les devants, et de bien expliquer aux parents que les troubles fonctionnels digestifs, dont font partie les régurgitations dans les critères de Rome IV qui datent de 2016, sont fréquents et tout à fait physiologiques », sous réserve bien sûr d’un examen clinique pédiatrique complet, conclut le Dr Olivier Mouterde.
D’après un entretien avec le Dr Olivier Mouterde, CHU, Rouen.
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