Période de toutes les attentions, la petite enfance pourrait aussi être celle de tous les dangers… Avec de plus en plus de données suggérant que l’apparition de certaines pathologies à l’âge adulte
« Tout se joue avant 6 ans… ». En 1972, le psychologue américain Fitzhugh Dodson publiait sous ce titre un livre culte affirmant qu’en matière de développement psychique et affectif, les jeux seraient faits très tôt, dès la petite enfance. Quarante plus tard, de plus en plus de travaux tendent à montrer que ce déterminisme précoce pourrait concerner non seulement la santé psychique, mais aussi la santé physique. En d’autres termes, l’apparition de certaines pathologies à l’âge adulte serait favorisée, du moins en partie, par des événements survenant dans les premières années de vie voire in utero.
De l’épidémiologie…
Cette notion de déterminants précoces de la santé remonte à la fin des années 80 avec les travaux de l’épidémiologiste anglais David Barker. À l’époque ce chercheur montre pour la première fois une relation entre le poids de naissance et la mortalité cardiovasculaire ultérieure, les enfants les plus chétifs étant davantage victimes de pathologies cardiovasculaires à l’âge adulte. Pour l’épidémiologiste, il existe donc un lien entre ce qui se passe pendant la grossesse et la santé à long terme, ce qui le conduit à développer l’hypothèse d’une « origine développementale des maladies » ou DOHaD.
« Au début, face à ce concept novateur, le monde scientifique était plutôt sceptique, se souvient le Dr Marie-Aline Charles (directrice de recherche Inserm, Villejuif), et plusieurs équipes ont cherché à le mettre en défaut. » Mais les faits sont têtus et la plupart des travaux épidémiologiques menés sur ce thème viendront en fait conforter les observations de Barker. Des expérimentations réalisées chez le rat achèveront de convaincre en montrant qu’en cas de sous-nutrition maternelle, les petits ratons – qui viennent au monde avec un faible poids de naissance – développent ensuite d’avantage d’HTA et de diabète à l’âge adulte.
«?Une fois cela confirmé, on a élargi le concept à d’autres types d’exposition comme la sur-nutrition ou le diabète maternel », explique le Dr Marie-Aline Charles. Avec, là encore, des études épidémiologiques à charge montrant qu’un enfant né d’une mère diabétique pendant sa grossesse est ensuite plus susceptible de développer une obésité puis un diabète à l’âge adulte.
En parallèle, de nouvelles expérimentations animales sont venues enrichir le sujet en suggérant que la phase « critique » pourrait dépasser la période in utero et s’étendre sur la période post-natale précoce. Dans ces travaux, les auteurs montrent en effet que la façon dont on nourrit le petit rat juste après la naissance peut changer pour le restant de ces jours sa trajectoire pondérale. « Si le petit rat est sous-nutri dans les 2/3 premiers jours de vie, il va rester de faible poids tout au long de sa vie même s’il est alimenté normalement par la suite. En revanche si la sous-nutrition est infligée un peu plus tard, le raton va maigrir sur le moment, mais il récupérera ensuite un développement pondéral normal dès lors qu’on l’alimentera à nouveau correctement. » D’où l’idée d’une fenêtre de sensibilité précoce pendant laquelle certains événements ou expositions laisseraient des traces déterminantes pour l’avenir.
Depuis, d’autres travaux ont montré que ce constat vaut aussi pour l’espèce humaine avec une période critique évaluée aux 1 000 premiers jours de vie, soit toute la grossesse et la petite enfance jusqu’à l’âge de 2 ans. « Dans cette période où le fœtus et l’enfant sont en développement rapide, les aspects nutritionnels jouent un rôle majeur, confirme le Dr Marie-Aline Charles, mais il semble aussi que d’autres facteurs environnementaux, au sens large, puissent intervenir et influencer la santé ultérieure. » L’anxiété maternelle a été incriminée avec de nombreuses données chez l’animal montrant qu’un stress important de la mère pendant la grossesse ou en post-natal immédiat peut se traduire à long terme par l’apparition de troubles cognitifs. L’exposition à des contaminants toxiques a aussi été pointée du doigt, comme pour les perturbateurs endocriniens suspectés d’avoir une influence néfaste sur le système reproductif voire sur les systèmes adipeux du jeune adulte. Des questions se posent aussi sur l’impact à long terme des infections de la toute petite enfance.
... À l’épigénétique
Reste à comprendre « comment quelque chose qui se passe si tôt dans la vie joue sur la santé des adultes, si longtemps après... », questionne le Dr Charles.?À ce titre, l’épigénétique apporte des éléments de réponse et donne une plausibilité biologique à toutes ces observations, « même si le décryptage précis des mécanismes en cause n’en est encore qu’à ces débuts ». En fait, l’exposition précoce à certains facteurs environnementaux pourrait non pas modifier le gène en lui-même mais plutôt venir moduler son expression. Par des mécanismes de méthylation/déméthylation, onphosphorylation/déphosphorylation..., de la molécule d'ADN mais aussi des histones, ces expositions précoces pourraient par exemple rendre la chromatine plus ou moins condensée et donc les gènes plus ou moins accessibles à la transcription. Reste aussi à savoir quoi faire en pratique de toutes ces nouvelles données.
À terme, « on pourra essayer de prévenir certaines expositions néfastes », espère le Dr Marie-Aline Charles tout en reconnaissant « que toutes ne sont pas évitables ». L’idée est aussi de pouvoir intervenir en aval pour ne pas aggraver le phénomène. Par exemple, « les enfants de petit poids de naissance risque encore plus de développer une obésité s’ils sont, en sus, exposés à une surnutrition ultérieure ». Enfin, « on peut imaginer proposer un suivi renforcé aux enfants dont on sait qu’ils ont été exposés au début de leur vie à des situations potentiellement délétères ».