Costume noir et petite mallette, visage concentré, Nicolas Bonnemaison porte jusque dans son allure l’identité du médecin. Un médecin dévoué à ses patients, investi dans un métier qui représente sa vie. Un « médecin de profession », comme il s’est présenté, passant sous silence la radiation de l’Ordre des médecins, qui le frappe depuis juillet 2014.
« Mes pensées vont vers mes patients et les familles qui vivent des choses difficiles », a-t-il déclaré en préambule de son procès. Et de poursuivre en espérant que ces 15 jours permettront de « rectifier les rumeurs » qui l’entourent. Exit l’ombre du suicide : « Je n’ai jamais fait la moindre tentative de suicide. Cette image de mec fragile me colle aux basques mais je n’ai jamais essayé de me suicider », s’est-il agacé.
Exit l’addiction qu’on lui prête à l’efferalgan codéiné : « Mon usage était thérapeutique, à la suite d’une hernie discale », a-t-il assuré.
Tout au long de la première journée, Nicolas Bonnemaison s’est ainsi efforcé de nuancer un tableau sombre, ponctué par le suicide de sa soeur bipolaire en mai 2012, celui de son père (un « vrai suicide de chirurgien, il s’est disséqué l’artère fémorale »), et ses propres épisodes dépressifs.
Vocation de médecin
Il a insisté sur sa vocation de médecin, qui remonte à son enfance, lorsqu’il allait voir son père chirurgien et sa mère aide opératoire, à la clinique d’Hasparen, où il prenait ses goûters avec les cuisinières et faisait ses devoirs avec les secrétaires. Malgré les redoublements, il s’accroche. Il date son intérêt pour la fin de vie à ses premiers stages à Bayonne, où il est « heurté » que des « médecins sautent des chambres », par peur de ce qu’ils y verraient. Lorsqu’il parle de son métier de médecin, Nicolas Bonnemaison reprend vie. Presque rien de confus dans l’enchaînement de ses responsabilités : chef de services du SAMU et des urgences en 2004, création de l’Unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) en 2005, responsable de pôle en 2007 jusqu’à sa démission en2009, et reprise de l’UHCD à son retour de congés maladie en 2009.
Sa femme Julie Bonnemaison, anesthésiste réanimateur, appuie ce rôle de médecin proche des familles. « En 4 ans, il n’a eu je crois qu’un refus de consentement de prélèvement d’organe », souligne-t-elle, évoquant les années 2000 lorsque son mari exerçait dans un service de transplantation.
Elle relativise les failles psychologiques. « Ce n’est plus une honte d’être hospitalisé pour un burn out ! La dépression fait peur. Mais si on prend des médicaments, ça va mieux, c’est normal, c’est la vie », a-t-elle expliqué, faisant un parallèle avec des diabétiques ou des hypertendus qui prendraient des antidiabétiques ou des antihypertenseurs. Même la relation extraconjugale se médicalise, à la faveur d’un lapsus, en lésion dans la bouche de Julie Bonnemaison.
Elle relativise les conflits professionnels. « Un service c’est parfois la cour d’école, vous savez ». L’anesthésiste réanimatrice banalise enfin l’usage de l’hypnovel et du curare. « Ce qu’il fait, on l’a tous fait. (…) Le curare se fait dans tous les services (...) En Belgique, ils ont un set pour les euthanasies avec des hypnotiques et s’ils ne sont pas assez puissants, du curare. Ce n’est ni un empoisonneur, ni un assassin », assure-t-elle, convaincue qu’il « a sa place auprès des patients, pas dans un bureau administratif ».
« Je pratique la sédation, c’est mon devoir »
Interrogé sur les faits qui se sont déroulés dans l’UHCD en mars 2010 puis au premier semestre 2011, Nicolas Bonnemaison a répété à satiété qu’il n’avait jamais eu l’intention de tuer. Rappelant la situation particulière de ces patients en toute fin de vie, hospitalisés en urgence après des AVC alors que l’unité n’était pas adaptée, il a présenté ses pratiques comme conformes aux recommandations des sociétés savantes.
« Mon objectif n’a jamais été d’abréger la vie mais d’atténuer des symptômes insupportables », quitte à ce qu’il y ait un double effet, a-t-il asséné. Il a justifié la mise en place des sédations au nom du principe de précaution, pour éviter des souffrances psychiques, impossible à observer avec certitudes malgré les échelles de Glasgow et Rudkin. « Si on a des signes qui évoquent les souffrances, on dit qu’il faut sédater les patients. Certes, on n’a pas de certitude sur la douleur psychique qui reste une inconnue mais il faut imaginer le pire », explique-t-il. « Ces dernières années, les sociétés savantes parlent de sédation systématique après arrêt des thérapeutiques actives », ajoute-t-il, en faisant allusion à la société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Il assure avoir toujours appliqué par titration et non massivement de l’hypnovel, le produit référence en soins palliatifs et ne reconnaît avoir administré du curare qu’à une seule patiente, pour soulager une fin de vie qui se déroulait dans des conditions terribles.
Question sur la collégialité
Pour une autre patiente présentant des pauses respiratoires, le médecin reconnaît avoir préparé une ampoule d’hypnovel et de curare, afin d’éviter les gasps. La patiente décède spontanément avant toute injection. L’avocat général le pousse dans ses retranchements : « Pourquoi ne pas attendre la fin naturelle alors que ces personnes en sont si proches ? ». « C’est intolérable d’attendre les bras ballants que ça arrive, quand on a tous les moyens de supprimer les souffrances psychiques. Je pratique la sédation, c’est mon devoir de le faire », affirme-t-il.
Nicolas Bonnemaison mettra en avant plusieurs fois son devoir de médecin, notamment pour expliquer l’absence de l’inscription de la sédation sur les dossiers médicaux. « Je ne voulais pas faire porter ça aux équipes soignantes », dit-il. Pour expliquer aussi pourquoi il procédait lui-même aux injections sans en parler aux soignants, sans se cacher non plus. « J’estime que le médecin doit jouer son rôle jusqu’au bout et ne pas déléguer aux infirmières un geste aussi important », précise-t-il.
Quant au manque de « collégialité » qu’on lui reproche il se défend vigoureusement : « La décision d’arrêt des thérapeutiques actives est collective. Elle est prise par les urgentistes en amont de l’UHCD. La sédation est obligatoire selon les sociétés savantes. Je ne vois pas la nécessité de réunir un collège de médecin pour appliquer une décision obligatoire. »
Les jurés ont jusqu’au 24 octobre pour juger s’il y a eu intention de tuer. Le procès promet d’être long, avec 80 témoins appelés, une altercation entre directeur de l’enquête et avocat de la défense au second jour, et des discussions qui débordent les horaires prévisionnels.
Article précédent
Nicolas Bonnemaison demande la révision de sa radiation de l’Ordre des médecins
Article suivant
Nicolas Bonnemaison hospitalisé après une tentative de suicide
Affaire Bonnemaison : l’Ordre exprime un « sentiment de compassion sincère »
Nicolas Bonnemaison demande la révision de sa radiation de l’Ordre des médecins
Le médecin se défend d’avoir jamais voulu tuer
Nicolas Bonnemaison hospitalisé après une tentative de suicide
Procès Bonnemaison : 5 ans de prison avec sursis requis
Tentative de suicide de Nicolas Bonnemaison : le pronostic vital n’est plus engagé
Procès Bonnemaison : 2 ans de prison avec sursis pour l’ancien urgentiste
À la barre, des médecins belges prennent la défense du Dr Bonnemaison
Bonnemaison : l’appel à la révolte du Dr Frédéric Chaussoy
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes