L’article 34 du PLFSS rendant obligatoires onze vaccins pédiatriques est donc entré en application au 1er janvier dans une ambiance de guérilla. « Surtout pas de vague ! » : c’est la consigne donnée par le Premier ministre. « Nous ne chercherons évidemment pas à faire des exemples s’il y a des réfractaires », confirme sa ministre de la Santé, qui rappelle qu’elle a supprimé les six mois d’emprisonnement et les 3 750 euros d’amende pour « refus de se soumettre à l’obligation ».
Mais une affaire va changer le cours de l’histoire vaccinale, l’affaire Louna, du prénom d’une enfant de quatre ans et demi-exclue de son école maternelle dans l’Isère, à la rentrée de septembre 2018. Le rectorat de Grenoble, après avoir envoyé plusieurs courriers à la famille pour lui signifier que son refus de faire vacciner Louna la mettait hors la loi, décide d’appliquer l’article R311-17 du Code de la santé publique et exclut l’enfant.
Invoquant le cas de leur aîné, selon eux devenu asthmatique à la suite d’un vaccin, soutenu par les réseaux, les parents expliquent lors d’une conférence de presse que tant que le ministère n’aura pas fait retirer l’aluminium dans les vaccins, ils ne céderont pas, dussent-ils être envoyés en prison. Et ils saisissent en référé le tribunal administratif, sur la base de la loi de 2005 qui dispose que « tout enfant doit pouvoir être accueilli à l’âge de trois ans dans une école maternelle ».
La loi Kouchner du 4 mars 2002
À l’ouverture de l’audience, le 15 octobre, l’avocat des parents de Louna pose une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : il invoque la loi Kouchner du 4 mars 2002, qui instaure la co-décision entre le patient et le médecin, reconnaissant un principe d’autonomie que bafouerait, selon les plaignants, l’extension des vaccinations obligatoires.
Le tribunal entend l’argument et il renvoie cette QPC devant le Conseil d’État, lequel saisit à son tour le Conseil constitutionnel. Et pendant que les Sages de la rue Montpensier délibèrent, la guérilla reprend de plus belle.
Oui ou non, l’obligation des onze vaccinations bafoue-t-elle les droits et libertés garantis par la Constitution ? Telle est la question qui déchaîne les passions en cet automne 2018. Plus droite dans ses bottes que jamais, Agnès Buzyn explique qu’« aucune liberté n’est flouée dès lors que 15 % des enfants (non vaccinés) mettent en danger vital les autres en favorisant la réémergence d’épidémies pour lesquelles il y a aujourd’hui des morts ».
« Catéchisme de la solidarité et arguments staliniens »
Lors d’une conférence de presse organisée par le CRASH (Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires), Lise Barnéoud balaye l’argument épidémiologique : « Tous les taux de couverture vaccinale sont à la hausse, estime-t-elle, il n’y a donc pas d’urgence qui justifie de telles mesures coercitives. » « Le gouvernement a pris l’option de la voie verticale au mépris du fonctionnement horizontal qui partage la décision entre médecins et patients, renchérit Rony Brauman, ancien président de MSF et professeur à Sciences-Po. Il nous sert un catéchisme de la solidarité et des sermons moralisateurs sans réelle base scientifique : beaucoup des vaccins (polio, tétanos…) ciblent des maladies qui ne sont pas contagieuses. Il infantilise le public avec des arguments staliniens. »
« Tout ce bazar est d’autant plus regrettable, commente Claude Le Pen, qu’on est devant un tout petit delta, où il faut juste passer de 80 à 85 % de couverture, pas vraiment de quoi chambouler toute la démocratie sanitaire ! »
« On a changé de monde »
Le 22 octobre, le Conseil constitutionnel tranche et retoque l’article 34 du PLFSS. Ce jour-là, le gouvernement a perdu la guérilla des vaccinations obligatoires. « C’était prévisible, estime le juriste de la santé Jérôme Peigné ; aujourd’hui, ni un ministre de la Santé, ni les grands mandarins n’ont plus l’autorité suffisante pour imposer une mesure aussi justifiée soit-elle à une société saturée de réticences et de fake news. On a changé de monde. Pour faire prendre un virage à la politique de santé, vaccinale ou autre, il faut mobiliser le corps médical. Sans l’implication des médecins, rien n’est plus possible. Sans eux, l’obligation politique ne passe plus. La guérilla contre l’extension des vaccinations obligatoires a sonné la fin du vieux monde en santé publique. »
(À suivre, avec une nouvelle loi de santé ?...)
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