Le point de vue d'Agnès Verdier-Molinié*

Un scénario de rupture est indispensable pour l'hôpital et pour le système de soins

Publié le 19/07/2018
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Agnès Verdier-Molinié

Agnès Verdier-Molinié
Crédit photo : AFP

La France est en retard pour la chirurgie ambulatoire, la télémédecine, le dossier médical informatisé, le suivi des malades chroniques et dans de nombreux autres domaines. Notre système de santé souffre de multiples dysfonctionnements qui pénalisent toutes les parties prenantes : désorganisation des services aux malades, mécontentement des professions médicales, retards dans l’organisation des soins, évaluation insuffisante de la qualité des soins, 30 % d’actes inutiles d’après Agnès Buzyn, ministre de la Santé. Une rigidité d’autant plus inquiétante que les évolutions en cours sont plus radicales et plus rapides que jamais : génomique, traitements individualisés, robotisation, interventions à distance, big data, intelligence artificielle, progrès médicaux. Une certitude : sans réforme structurelle de notre système de santé et de l’hôpital public, les coûts vont continuer d’augmenter et la qualité des soins de baisser.

Les appels à changer se multiplient

Les hôpitaux français sont malades des 35 heures, le déclencheur sinon la cause fondamentale des problèmes. Désorganisation du travail, explosion des RTT et de l’absentéisme, départ de nos meilleurs spécialistes pour aller exercer à l’étranger, les signaux d’alerte sont nombreux et les appels à changer la gestion hospitalière se multiplient. Les gouvernements successifs engagent les hôpitaux par les décisions hors-sol qu’ils prennent : augmentation du point d’indice, aucun soutien à ceux qui veulent faire évoluer le temps de travail à l’hôpital, voire des bâtons dans les roues de la part du ministère, très faible marge de manœuvre pour attribuer des primes au mérite ou de présentéisme. Le manager de l’hôpital en France est seul et a très peu de pouvoirs. Il va falloir changer cela.

Les réformes à mener sont les suivantes : suppression du statut de la fonction publique hospitalière pour les nouveaux entrants, passage du temps de travail à 1 750 heures annuelles grâce à la suppression des RTT, plus grande autonomie donnée aux managers des hôpitaux et possibilité de mieux rémunérer les agents les plus engagés. Cela passe aussi par la possibilité, comme dans la plupart des pays d’Europe, de confier la responsabilité d’hôpitaux publics à des gestionnaires privés.

Il faut aussi rémunérer les médecins hospitaliers à l’activité et à la qualité, ce que refusent les syndicats hospitaliers, mais ceci incite les meilleurs à partir soigner dans d’autres pays où ils sont considérés à leur juste valeur. Cela passe aussi par une tarification qui valorise l’ambulatoire et les avancées médicales ou organisationnelles.

11 milliards d’euros de plus par an dépensés à l’hôpital en France par rapport à l’Allemagne, 6 milliards de moins en médecine de ville. Sortir d’une vision hospitalo-centrée de notre système de soins est aussi, paradoxalement, la clé de la réforme de l’hôpital car cela désengorgera les urgences et les services de soins.

Le rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) va proposer un scénario de rupture, où les hôpitaux cesseraient d'être le centre de gravité du système. Une perspective conforme à l'orientation définie par Agnès Buzyn, avant même ce rapport, « Abattre les murs de l’hôpital, ouvrir l’hôpital sur l’extérieur, passer de l’hôpital forteresse à l’hôpital interface ». Une bonne nouvelle. Mais, s’agit-il pour les malades d’accéder plus facilement à l’hôpital, ou pour les professionnels de santé de ville d’y entrer plus facilement pour soigner, pour les professionnels de santé des hôpitaux d’en sortir plus facilement pour soigner en dehors de l’hôpital, ou simplement de fluidifier le parcours de soins et l’échange des informations entre l’hôpital et la ville ?

Un des systèmes les plus dépensiers au monde

En pratique, les hôpitaux ne pourront pas se décharger de leurs tâches indues tant que la médecine de ville et les diverses filières de soins de suite ne seront pas responsabilisées, valorisées, et prêtes à prendre en charge les personnes qui relèvent de leurs compétences. Pour permettre à l’hôpital public de se réformer avec plus d’autonomie et de liberté, il faudra aussi revoir l’organisation de l’assurance maladie. L’urgence est de revenir sur le double étage Assurance-maladie obligatoire gérée par la CNAM et assurance complémentaire car nous dépensons aujourd’hui 13,7 milliards d'euros de frais administratifs ce qui en fait l'un des systèmes les plus dépensiers au monde.

La France est en retard

Encore une fois, la France est en retard quand l’Allemagne a fait le choix d’ouvrir ses caisses à la concurrence dès les années 1990 pour susciter les initiatives. Chaque assuré choisit sa caisse en Allemagne entre plusieurs caisses publiques. Il peut même s’assurer auprès d’une caisse privée si ses revenus sont suffisants. Les assurés allemands sont guidés dans le système de soins grâce à des réseaux de soins. Résultat, depuis 2004, l’assurance-maladie en Allemagne est excédentaire.

La future réforme réussie de l’hôpital public se résume en ces termes : autonomie, délégation de service public, contractualisation des personnels. Mais dépend aussi de la responsabilisation de la médecine de ville et des soins de suite, et de l’équité de traitement entre les différents fournisseurs de soins. Recentrés sur leur véritable rôle, fortement allégés, les hôpitaux redeviendront des organismes complexes mais gérables, où les personnels retrouveront la motivation qui les a fait s’engager dans ces professions.

* Lobbyiste, essayiste, directrice de la Fondation iFRAP.

Agnès Verdier-Molinié

Source : Le Quotidien du médecin: 9681