Peut-on visualiser la douleur ?

L’IRM en question

Publié le 07/12/2015
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La recherche de biomarqueurs de la douleur se poursuit plus que jamais

La recherche de biomarqueurs de la douleur se poursuit plus que jamais
Crédit photo : PHANIE

Aux États-Unis certaines sociétés proposent une IRM fonctionnelle pour visualiser la douleur (pour la somme de 4 500 dollars) à des patients souhaitant faire valoir la réalité de leur douleur à la suite d’un accident et obtenir une indemnisation. C’est ce qu’a fait Carl Koch, un chauffeur de poids lourd qui en 2005 a poursuivi son employeur en justice après avoir perdu son emploi à la suite d’un accident du travail ayant occasionné une douleur chronique du poignet. Il a présenté au tribunal une IRM fonctionnelle réalisée à l’université de Columbia. Et malgré l’avis de l’expert neurologue qui a fait valoir le manque de validité scientifique de la méthode, la possibilité de « tromper » l’IRM en imaginant la douleur etc., la justice a tranché en faveur de Carl Koch et lui a attribué une indemnisation de 800 000 dollars.

Une « signature cérébrale » de la douleur

Les premiers travaux concernant la visualisation d’une « matrice de la douleur » remontent aux années quatre-vingt-dix. Depuis, de très nombreuses études y ont été consacrées jusqu’à ce qu’en 2013, les auteurs d’un article paru dans le New England Journal of Medicine (2) affirment l’existence d’une « signature cérébrale » de la douleur (dans cette expérience une douleur provoquée par le contact de la main avec un plat chaud) détectable par l’IRM fonctionnelle, avec une fiabilité, disent-ils de plus de 90 % !

Depuis, le sujet a suscité de nombreux articles et, aux États-Unis, des compagnies proposent l’IRM pour visualiser la douleur, avec chacune leur méthode. L’une avec un protocole permettant de distinguer une allodynie d’une douleur imaginée, une autre en compare les images de l’IRM avant et après une activité douloureuse pour le patient… « Tout cela, souligne Bouhassira, est très faible sur le plan scientifique et n’est étayé par aucune étude solide ».

Dans l’éditorial de Nature des experts invités à s’exprimer sur la question rendent des avis divers. Pour l’un d’eux, l’IRM manque totalement de spécificité pour authentifier une douleur chronique. Un autre estime qu’il est certes un peu tôt pour se prononcer mais que l’on peut parfaitement imaginer à terme trouver un marqueur de la douleur chronique. Un neuroscientifique fait également remarquer que « si nous acceptons que l’imagerie cérébrale dit vrai, alors il faudra accepter son verdict, y compris dans les situations où l’examen dit ce que nous ne souhaitons pas ». On peut ainsi imaginer que l’IRM cérébrale devienne un test pour déterminer si un patient a ou non des douleurs, et peut ou non bénéficier d’une prise en charge à ce titre.

«La recherche de biomarqueurs de la douleur se poursuit plus que jamais, conclut le Dr Bouhassira. Les résultats de ces études pourraient modifier la recherche pharmacologique mais aussi notre pratique. Dans un avenir, peut-être proche, estime-t-il, les spécialistes seront de plus en plus confrontés à des demandes émanant de patients, d’autorités de tutelle, de juristes… pour émettre un avis sur des cas de douleurs chroniques ».

D’après une communication du Dr Didier Bouhassira, hôpital Ambroise Paré, Boulogne

 

(1) Raedon S. Nature 2015;518:474-75

(2) Wagner TD et al. N Engl J Med 2013;368:1388-97

Dr Hélène Collignon

Source : Le Quotidien du Médecin: 9456