Valises de télémédecine en libéral, un premier bilan mitigé
« La conduite du changement est toujours difficile », concède le Dr Fabien Josseran, à la sous-direction de la Santé au conseil général des Alpes-Maritimes. Ancien généraliste à la campagne, c’est lui qui coordonne la « première » réalisée en distribuant à des médecins volontaires installés dans des villages du haut pays, des valises de télé-expertise. Des villages situés à 100 voire 150 km des hôpitaux de Nice. « Une première en France pour lutter contre la désertification médicale » annonçait le 10 avril dernier le conseil général. Sur le papier, un beau cadeau : une valise tout équipée de la société Camka avec un ordinateur portable et des appareils miniaturisés et connectés (ECG, spiromètre, tensiomètre, kit d’analyses).
Six mois après, le bilan est encore mitigé. À se demander si le cadeau correspondait à une attente. Plusieurs médecins ne s’en sont carrément pas servis parce que la valise ne fonctionnait pas ( « Je n’ai pas le temps de passer une demi-journée pour la rapporter au conseil général », dit le Dr Éric Reynard à Roquebillière) ou qu’il fallait aller chercher les consommables non fournis et la clé 3G. « Je n’ai pas eu la patience de rentrer dedans, avoue le Dr Jacques Dadoun à Saint Martin – Vésubie, pour moi c’est aussi simple d’envoyer un fax quand j’ai un ECG douteux. » D’autres s’en servent peu car les connexions 3G d’Orange sont mauvaises dans leur secteur. « Dans la zone de Valderoure, il n’y a que Bouygues qui passe mais le système est propriétaire, nous avons été obligés de prendre un abonnement Orange, explique le Dr Christian Puig, du coup nous ne pouvons l’utiliser qu’en poste fixe. Mais mon associé se sert très souvent de la caméra pour transmettre des images de dermatologie. » Le Dr Roland Giraud à Valberg reste cependant enthousiaste : « L’idée m’emballe mais il faut la perfectionner, avoir une meilleure connexion et l’assurance de trouver un correspondant de l’autre côté jour. On l’avait pris pour s’en servir en urgence et on met trop longtemps à obtenir une réponse. » Maître de stage, il a reçu cet été un interne qui s’est passionné pour le système et en a fait son sujet de thèse.
Le Dr Auger en attendait lui aussi beaucoup pensant utiliser le spiromètre pour une étude mais il n’y a pas de pneumologue à Nice. D’une façon générale, le contenu de la valise n’est pas bien adapté à l’urgence. Le minilab propose un test de cholestérol. « Ce qui nous serait utile, c’est le dosage de la troponine et des d-dimères. La téléconsultation d’ECG ne peut servir que pour le suivi. Pour l’ECG en urgence, on est déjà équipé et formé, dit ce médecin pompier qui part avec son coffre de voiture rempli d’appareils médicaux, c’est une valise pour secouriste… Il aurait fallu que ce soient les médecins qui rédigent le cahier des charges. De plus, nous avons déjà un réseau de correspondants dans les cliniques et la connexion n’est prévue qu’avec le CHU de Nice. » « Je pensais que l’utilisation serait plus importante, reconnaît le Dr Josseran, nous avons des médecins compétents. C’est rassurant. Et il est vrai que le meilleur outil de télémédecine reste le téléphone. J’ai bien perçu les demandes d’autres experts spécialistes et nous travaillons avec Orange à améliorer la couverture. Pour les pompiers, nous prévoyons une valise avec modem satellitaire. »
Les porteurs de projet le savent : il y a forcément une étape d’appréhension de la technique et d’accompagnement au changement. Mais ils persévèrent, convaincus que les nouvelles technologies seront des outils d’aide à l’installation de jeunes médecins qui ont besoin d’être rassurés.
Sécuriser les îles
On entend un discours similaire dans les îles du Ponant : « Nous avons une situation particulière qui justifie l’emploi de la télémédecine, explique M. Jean-Yves Blandel, directeur de l’hôpital local Yves-Lanco à Belle-Ile, car nous avons une petite unité de soins immédiats et une unité de radiologie.Dans le cadre du groupe de travail sur les urgences dans les îles bretonnes, nous avons équipé une salle avec une caméra de vidéo conférence reliée à l’hôpital de Vannes mais on ne s’en sert pas. Pourtant, nous avons des difficultés à trouver des médecins généralistes et la possibilité d’avoir un avis d’expert les sécuriserait. Au service de radiologie de l’hôpital de Vannes, on nous explique que ce n’est pas la peine d’envoyer les radios qui seront refaites de toute façon. De plus, nous n’avons des manipulateurs (retraités) que pendant les vacances. » Actuellement, un radiologue de Quiberon vient une demi-journée par semaine avec sa manipulatrice. Il apporte un échographe et utilise notre appareil de radio. Il pourrait très bien ne plus venir, estime M. Blandel.
Sur l’île d’Hoedic, en revanche, il n’y a qu’une infirmière que tout le monde appelle Macha, qui est aussi chef de centre de la caserne des sapeurs pompiers d’Hoedic. Elle dispose d’une valise de télémédecine (C2 Innovativ’Systems) et se met en contact avec les médecins des sapeurs-pompiers de Vannes. « Pour nous, c’est un test de matériel, explique Bruno Leblais, pharmacien, cela a permis de le faire évoluer et nous sommes en train d’intégrer un fichier patient où l’on pourra ajouter les photos intéressantes. Macha fait des photos des blessures avec la caméra intégrée. L’été, dans le Morbihan, il existe tout un système de secours avec un hélicoptère Dragon 56 médicalisé mais le reste de l’année, il ne faut compter que sur soi-même. Le Dr Philippe Damion, médecin chef, a ainsi pu assister Macha pour poser les points de suture d’une plaie de la joue. L’infirmière se sent sécurisée et cela évite des transferts sur le continent qui peuvent se révéler périlleux par gros temps. Le système prend du temps, 20 à 30 minutes par connexion. Mais le test est concluant et l’achat d’une deuxième valise est envisagé pour l’île d’Arz.
À l’hôpital, des projets médicaux qui marchent
On s’aperçoit que la télémédecine réussit à s’imposer lorsqu’elle est portée par un projet médical. Chirurgien vasculaire au CH de Saint-Brieuc, le Dr Cécile Moisan a monté une consultation transversale de plaies chroniques en se rendant compte que celles-ci, très fréquentes (2 % de la population), étaient mal prises en charge au-delà de quatre semaines. Une consultation vite saturée. Un DU de plaies a été mis en place et un centre de plaies s’est ouvert avec des infirmières spécialisées à l’hôpital local de Paimpol où le Dr Moisan se déplaçait deux fois par semaine. Un temps révolu depuis elle a eu l’idée d’utiliser l’expérience du centre de Paimpol (et ses liaisons haut débit) où se pratiquent des télédialyses depuis des années (autre succès de la télémédecine) pour organiser des téléconsultations plaies. Le plus difficile a été de trouver les caméras (système Polycom) qui restituent bien les couleurs (très importantes pour le diagnostic et le suivi de l’évolution). Depuis mars, le Dr Moison téléconsulte depuis Saint-Brieuc. L’infirmière est présente et fait le soin. Le patient paye sa consultation et son soin. Deuxième volet : les télévisites. La station est acheminée dans les chambres des malades ayant été opérés. Les infirmières disposent de mini-doppler. En une heure, de 8h30 à 9 h 30, le Dr Moisan voit dix patients : trois en téléconsultation (20 minutes), un staff de quelques minutes et une demi-heure de télévisites. « Jusqu’à présent je suis considérée comme détachée à Paimpol et 8 heures de temps médical sont reversées par convention à Saint-Brieuc. » La mise en place d’un nouveau cadre législatif (voir encadré) clarifiera la situation.
Profitant du nouveau contexte, la Franche-Comté, qui expérimente depuis 2006 un outil de dépistage des mélanomes formé d’un dermatoscope-prototype à adapter sur un appareil photo numérique standard, va lancer, pour moins de 2 000 euros, une valise mobile de dermatologie à destination des infirmières libérales pour le suivi et le traitement des plaies chroniques. Chaque soir, les images seront transférées au centre de référence (qui sert également pour la neurologie) qui adressera un compte-rendu à l’infirmière et au dossier médical partagé régional accessible au médecin traitant. Avant même que soient lancés les appels à projets (voir encadré), les initiatives se multiplient.
Ce sera long et compliqué
« On n’en n’est plus aux tests, convient le Dr Jean-Yves Robin, mais on a encore besoin d’évaluer les outils et de mettre en place l’organisation au niveau des ARS. » La multiplicité des initiatives illustre la nécessité de trouver des modes de régulation. Pour le directeur de l’ASIP Santé, « en matière de télémédecine, le vrai sujet est organisationnel. Ce sera donc long et compliqué. »
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