LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir fait cette enquête ?
Dr NICOLE SMOLSKI : La très forte féminisation de la profession médicale est un champ sociologique qui n'a jamais été appréhendé dans sa totalité. Au bloc, j'ai vu des jeunes femmes chirurgiens de la génération Y hésiter dans l'attitude à adopter face à leurs confrères masculins. Il y avait celles qui jouaient au mec, et celles qui étaient dans la séduction. Je me suis également rendu compte que les évolutions statutaires ne suivaient pas ce changement démographique.
En parallèle, les hommes ne souhaitent plus endosser l'habit mythique du médecin héros. Alors que la campagne #MeToo prenait de l'ampleur et qu'on assistait à la libération de la parole dans tous les milieux professionnels, c'était le moment de faire le point à l'hôpital public.
Qu'est ce qui vous a surpris dans les réponses ?
À l'hôpital, la vie des femmes n'a pas changé d'une génération à l'autre. Nous sommes en 2019, et 6 % des femmes médecins de moins de 45 ans ne prennent pas leurs congés maternité, certaines n'osant pas de peur que cela influe sur leur avenir professionnel. C'est incroyable et inadmissible ! Ce pourcentage devrait être de zéro ! J'ai aussi été stupéfaite d'apprendre que 25 % des femmes – et même 34 % des moins de 45 ans – ont repris leur travail en continuant à allaiter. C'est un phénomène nouveau auquel l'hôpital doit être en mesure de répondre. L'accès à des crèches au sein des établissements est une demande forte.
Un plafond de verre subsiste dans l'accès aux postes à responsabilité. Comment l'expliquer ?
Les causes sont multiples. À l'hôpital, le pouvoir médical est par habitude donné aux hommes. Ensuite, être PU-PH requiert un investissement énorme : on réclame aux jeunes médecins des publications sans fin, des horaires déments… L'enquête montre que les femmes sont plus investies dans les tâches quotidiennes de la vie familiale que les hommes. À moins de faire une croix sur leur vie privée, c'est plus difficile pour elles de prétendre à ces postes. C'est comme ça que j'explique un autre résultat surprenant de l'enquête : 30 % des femmes renoncent à une carrière universitaire contre 50 % des hommes. Selon moi, cela veut surtout dire qu'elles se retirent du jeu avant même d'avoir essayé, conscientes que le risque d'échec est plus grand pour elles.
15% des femmes disent avoir été victimes de harcèlement sexuel, 43 % avoir ressenti une discrimination liée à leur sexe. Est-ce mieux ou moins bien qu'avant ?
L'hôpital est un monde à part, où il est très difficile de faire la différence entre la grosse blague lourde de carabin et un vrai cas de harcèlement sexuel. J'ai 63 ans. A posteriori, je me rends compte que j'ai moi-même été victime de harcèlement. Je n'en ai pas souffert mais d'autres femmes en ont certainement pâti. Certains chefs nous disaient qu'il fallait coucher pour valider nos stages. Aujourd'hui, c'est différent. L'ambiance est moins salace au bloc et dans les salles de garde. Est-ce que cela signifie que les mentalités ont changé en profondeur ? Je n'en suis pas sûre.
Qu'allez-vous faire des résultats ?
Un outil syndical. Les PH réclament un observatoire sur la discrimination et un lieu où pouvoir déposer plainte en cas de harcèlement. Ça ne coûte rien de leur donner cela, autant y aller ! Des femmes rapportent aussi avoir fait des gardes à trois mois de grossesse alors qu'elles avaient demandé à en être exemptées. Ce sont des situations dangereuses, nous allons proposer des sanctions. Il faut libérer une bonne fois pour toutes la parole à l'hôpital.
Article précédent
L'avis du Dr Stéphanie Rist, rhumatologue et députée
Article suivant
Qui sont les praticiens sondés ?
Malaise et sexisme à tous les étages
L'avis du Dr Stéphanie Rist, rhumatologue et députée
Dr Nicole Smolski : « À l'hôpital, la vie des femmes n'a pas changé d'une génération à l'autre »
Qui sont les praticiens sondés ?
Harcèlement moral et sexuel : des femmes médecins témoignent
Quota à la fac, parité dans les chefferies : pour ou contre ?
Padhue : Yannick Neuder promet de transformer les EVC en deux temps
À Niort, l’hôpital soigne aussi les maux de la planète
Embolie aux urgences psychiatriques : et maintenant, que fait-on ?
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne