Deux chiffres posent bien le problème de la douleur aux urgences : il y a environ 21 millions de passages aux SAU par an ! Soit 1 030 patients par heure qui ont mal… La pression du flux continu des patients entrant pour un motif par définition urgent, et le déséquilibre entre leur nombre et l’effectif soignant, reflètent bien les difficultés rencontrées dans les SAU.
« L’évaluation de la douleur est parfois insuffisante quantitativement et qualitativement, ce qui peut entraîner des conséquences dommageables pour les patients mais également un retentissement sur les soignants (mauvaise image de soi…), explique Bruno Garrigue (Ile-de-France), cadre infirmier anesthésiste et membre du Board douleur de la Société française de médecine d'urgence. De plus, dans les recommandations actuelles (1), les techniques mises à la disposition des urgentistes sont pour la plupart invasives, donc chronophages ». Adaptée à une salle de réveil ou à un service de soins classique, la technique de titration morphinique intraveineuse (IV) par exemple, n’est pas toujours réalisable pour tous les patients sévèrement douloureux du SAU.
L’essor des techniques non invasives
La mise à disposition de protoxyde d’azote (N2O), il y a quelques années, a marqué le commencement de l’intérêt porté aux voies d’administration non invasives, transmuqueuses.
Autre gaz antalgique disponible plus récemment en France, le methoxyflurane (MF) est indiqué, à faible posologie, pour la douleur traumatique modérée à sévère. Facile à utiliser, auto-administrable, il ne doit cependant pas être donné en remplacement des morphiniques, lorsque la douleur du patient les nécessite. « Les protocoles anticipés douleur, confiés aux infirmiers de la zone tri, permettent de délivrer précocement (dès l’arrivée au SAU) du paracétamol ou un morphinique orodispersible et/ou du MF. Mais, bien qu’efficaces, sûrs et adaptés, notamment pour la traumatologie légère dans une optique de circuit court, ces protocoles peuvent se heurter à des réticences (morphinophobie) et ne sont pas toujours possibles ou respectés », fait remarquer le Dr Fabien Lemoel (Nice). L’inhalation de morphine, de fentanyl ou de kétamine par un masque aérosol classique est un dispositif simple, facile à mettre en place.
L’analgésie intranasale (IN) nécessite encore moins de matériel et est très utilisée, surtout chez le jeune enfant. Elle évite la pose d’une perfusion, souvent perçue comme traumatisante pour les enfants. L’administration de fentanyl ou de kétamine IN leur procure une antalgie rapide, sans risque de dépression respiratoire (2). Chez l’adulte, le sufentanil IN est à privilégier.
Quelle stratégie face aux douleurs chroniques ?
La prise en charge des patients douloureux chroniques est généralement complexe, certains présentant d’importantes altérations somatiques et psychologiques avec des handicaps pouvant être majeurs. Leur venue aux urgences n’est pas anodine. Selon les études, le taux de patients douloureux chroniques admis aux urgences est de l’ordre de 30 à 40 %, et dans 20 à 47 % des cas, le motif principal concerne leurs douleurs habituelles.
Il faut donc trouver la cause principale de cette acutisation. Par exemple, chez un patient cancéreux ayant des douleurs osseuses, on recherchera des lésions fracturaires. Il est également nécessaire de rechercher des modifications thérapeutiques (vérifier l’observance, le respect des prescriptions…), ou une résistance au traitement.
« Tout cela nécessite un interrogatoire long et spécifique avec des outils et un temps que ne possèdent pas nécessairement les urgentistes. La stratégie de prise en charge devra tenir compte du traitement habituel, de la cause identifiée mais aussi des limites thérapeutiques liées au contexte », ajoute le Dr Michel Galinski (Bordeaux). Certaines études, menées auprès des patients, semblent montrer qu’ils se plaindraient parfois d’un manque d’attention et de considération de la part des soignants. Une écoute attentive, un discours rassurant et empathique pourraient peut-être permettre déjà d’atténuer, dans certains cas, l’intensité de la douleur.
D’après la séance commune SFETD/ SFMU du congrès 2021 de la SFETD
(1) Vivien B et al. Recommandations formalisées d’experts 2010 : sédation et analgésie en structure d’urgence. (réactualisation de la conférence d’experts de la SFAR de 1999). Ann. Fr. Med. Urgence 2011(1):57-71
(2) Frey TM et al. Effect of Intranasal Ketamine vs Fentanyl on Pain Reduction for Extremity Injuries in Children: The PRIME Randomized Clinical Trial. JAMA Pediatr. 2019 Feb 1;173(2):140-6.
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