Quel est le temps de travail réglementaire d’un urgentiste ? « La question a été tranchée par le décret de 2016 de Marisol Touraine. Selon ce texte, le temps de travail hebdomadaire est de 39 h pour du temps clinique posté et de 9 h pour du temps extra-clinique. Le total fait donc 48 heures par semaine, ce qui est compatible avec le statut de PH », explique le Pr Luc-Marie Joly, chef du service des urgences du CHU de Rouen.
Mais dans certains hôpitaux, ce décret de 2016 reste mal ou pas appliqué, le plus souvent dans un contexte de sous-effectif médical « Il y a des directions qui estiment que, si un médecin ne fait pas 9h d’activité extra-clinique, on peut lui rajouter du temps clinique posté. Je connais aussi dans ma région un hôpital où la directrice refuse purement et simplement d’appliquer le décret. Elle ne déclenche le paiement du temps additionnel qu’au-delà de 48 heures de travail posté. Résultat, la moitié des urgentistes ont démissionné », indique le Pr Joly.
Non-dits autour de la réglementation
Chef du service Urgences/Smur de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, le Dr Mathias Wargon estime qu’il y a une « grande hypocrisie et pas mal de non-dits » autour de la question du temps de travail aux urgences. « Aujourd’hui, l’immense majorité des services n’ont pas suffisamment de médecins pour appliquer la réglementation. En fait, on est face à une équation impossible. On est obligé de rester ouvert 24 h sur 24, avec une législation à 48 h hebdomadaire. Et c’est impossible sans avoir un plus grand nombre de médecins ou sans avoir recours à l’intérim. Le développement très important de celui-ci a bouleversé la loi de l’offre et de la demande. On voit aujourd’hui des médecins qui exigent d’être à 39 heures maximum ou qui se mettent même à temps partiel pour aller faire de l’intérim dans le privé ».
Une solution pourrait être le passage aux trois-huit. « Comme d’autres services, c’est une question à laquelle on réfléchit. Nous avons fait des simulations de planning sur un schéma 8 h/8 h/10 h. Cela nous a permis de constater que cette nouvelle organisation serait possible à mettre en œuvre, avec sans doute un nombre un peu supérieur de médecins, mais pas tant que cela. Cela demanderait surtout une organisation spécifique, sans doute pas simple à mettre en place avec un changement important dans la vie professionnelle et personnelle des médecins », indique le Dr Sébastien Beaune, chef du centre d’accueil des urgences adultes de l’hôpital Ambroise Paré à Boulogne.
Ce passage aux trois-huit impliquerait en effet que les médecins viennent plus souvent à l’hôpital. « Aujourd’hui, dans le service, ils font en général trois plages horaires de jour et une plage de nuit. Si on passait aux trois-huit, il faudrait qu’ils viennent au moins cinq fois par semaine, pour des plages certes plus courtes. Pour certains, cela pourrait être vécu comme un avantage. Mais d’autres pointent le risque d’une déconnexion avec la temporalité de l’hôpital, où tout est organisé sur des plages de 10 h-11 h. C’est un risque effectivement, même si nous avons d’ores et déjà des horaires parfois un peu décalés », indique le Dr Beaune.
Ce passage aux trois-huit serait un moyen d’en finir avec les plages horaires de 24 heures qui peuvent avoir un effet délétère, selon la Dr Anne-Laure Philippon, urgentiste à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. « Il existe peu de travaux sur l’impact d’un travail sur une plage de 24 heures, versus une plage de 12 ou 14 heures. Un travail marseillais (1) met toutefois en évidence un plus grand nombre de troubles de la cognition, de la mémoire du travail, de la vitesse d’analyse d’une activité multitâches ainsi que des troubles du diagnostic et de priorisation, dans le d’un travail de 24 heures, par comparaison à une garde de 14 heures ».
Retrouvez les versions longues de ces entretiens sur notre site www.lequotidiendumedecin.fr/liste-tous-les/congres-hebdo
(1) N Persico et al. Ann Emerg Med. 2018(72)2:171-80 https://doi.org/10.1016/j.annemergmed.2017.10.005
Article précédent
Gradation avec prudence
Article suivant
Le DES d'urgence est sur les rails
Des solutions pour le parcours de soins
Dr Agnès Ricard-Hibon (SFMU) : « Il nous faut nous adapter à l’augmentation continue de l’activité aux urgences »
Le chantier de la régulation est lancé
Une formation diplômante dès septembre
Plusieurs débats sont clos
Les outils du futur
Bien identifier les candidats à la réanimation
Réduire la mortalité par armes de guerre
Les urgentistes, aussi, s’essaient aux grands débats
Gradation avec prudence
L'impossible réduction du temps de travail
Le DES d'urgence est sur les rails
Padhue : Yannick Neuder promet de transformer les EVC en deux temps
À Niort, l’hôpital soigne aussi les maux de la planète
Embolie aux urgences psychiatriques : et maintenant, que fait-on ?
« Les Flying Doctors », solution de haut-vol pour l’accès aux soins en Bourgogne