LE GÉNÉRALISTE La Cour des comptes a souvent formulé des pistes de réforme de la médecine de ville, mais son dernier rapport est vécu comme une agression par les praticiens libéraux. Le comprenez-vous ?Antoine Durrleman J’en suis étonné. Le rapport ne se focalise pas spécifiquement sur la médecine libérale. Il traite de tous les volets de notre système de soins (organisation des soins de ville, restructuration nécessaire de l’hôpital, prix des médicaments, prévention, etc.). Sur le conventionnement sélectif, les problématiques de rémunération des médecins ou de dépassements d’honoraires, comme sur la coordination entre ville et hôpital, la Cour ne dit pas autre chose que ce qu’elle a déjà dit ! Mais ce rapport n’est pas seulement une forme de synthèse de ses travaux, il est surtout prospectif : il a pour ambition de contribuer à dessiner un système de soins plus efficient, ce dont nous aurons besoin dans dix à quinze ans.
Pourquoi être si offensif contre la médecine libérale alors que l’assurance maladie est en passe de revenir à l’équilibre dans et que la profession a tenu l’ONDAM ces prochaines années ?
A. D. Tout d’abord, cet équilibre n’est pas encore atteint. De plus, il existe des biais de construction qui affectent la sincérité de l’Ondam. L’enveloppe des soins de ville, ces dernières années, a été tenue par ailleurs grâce à des transferts de l’enveloppe hospitalière et médico-sociale. Nous mesurons les efforts des médecins, qui se sont traduits par des régulations fortes sur leur rémunération, mais cela ne peut pas durer, car agir uniquement par le levier budgétaire trouve rapidement ses limites. Si nous recommandons que l’équilibre financier de l’Assurance maladie devienne une règle, nous disons aussi que la régulation financière ne peut être l’alpha et l’oméga. Nous devons changer de dispositif et réguler par la qualité et la pertinence des soins.
Il n’y a donc pas d’animosité de la Cour à l’égard des médecins libéraux ?
A. D. En aucune façon. Nous pensons que la médecine libérale doit être de plus en plus le pivot du système de soins. Toutefois, tel que le système évolue, faute de régulation suffisamment efficace, c’est de moins en moins le cas. L’hôpital, qui représente 40 % de la dépense de santé dans notre pays contre 29 % en Allemagne, a pris ce rôle. C’est pourquoi nous appelons à un basculement : le virage ambulatoire doit se traduire par un dégonflement de l’activité hospitalière qui aujourd’hui progresse. Mais la médecine libérale doit s’organiser en conséquence et être mieux présente sur le territoire. En Allemagne, les médecins sont mieux rémunérés dans un cadre mieux organisé.
La Cour des comptes préconise justement le conventionnement sélectif. Pourquoi selon vous s’impose-t-il ? Les incitations à l’installation sont-elles un échec ?A. D. Il existe beaucoup de mesures incitatives, dont certaines ont des effets positifs. Des jeunes médecins s’installent par exemple en zone rurale, moins en périphérie urbaine. La Cour ne remet pas en cause la liberté d’installation, mais le conventionnement automatique, qui date de 1971 et doit être révisé. Il y a eu en France une croyance naïve selon laquelle l’augmentation du numerus clausus allait automatiquement aboutir à un rééquilibrage de la répartition territoriale des praticiens. Or, cela n’est pas le cas. Les projections montrent que si rien ne change, les disparités s’aggraveront à l’horizon 2030, malgré la hausse considérable du nombre de médecins. Il faut donc agir par le biais de la politique conventionnelle pour régler les problèmes d’accès aux soins.
Pourquoi défendez-vous la recertification périodique des médecins ?
A. D. Ce projet émane de l’Ordre des médecins. L’idée nous paraît intéressante. Pour qu’une part de leur prime de responsabilité civile soit prise en charge par l’Assurance maladie, certains praticiens (NDLR : des plateaux techniques lourds) doivent attester avoir suivi certaines formations. Pourquoi limiter cette exigence à une partie seulement du corps médical ?
Vous estimez que l’encadrement des dépassements, avec l’avenant 8, a donné des « résultats modestes et ambigus ». Faut-il interdire l’installation en secteur II ?
A. D. Nous ne proposons pas d’interdire l’installation en secteur II ! Si nous observons une légère inflexion du taux moyen de dépassement, qui a du reste commencé avant l’entrée en vigueur de l’avenant 8, nous constatons que la masse financière de ces dépassements est de plus en plus importante (NDRL : plus de 2,66 milliards d’euros en 2016). Cela pose un problème d’accès aux soins. Pour accéder à des spécialistes, certains usagers se font soigner directement à l’hôpital, en passant parfois par le 15 ! L’avenant 8, qui représente un effort financier important pour des résultats modestes, est un échec. Plutôt que de revaloriser les honoraires des médecins, l’Assurance maladie a longtemps facilité les dépassements d’honoraires. L’avenant a ouvert un espace de liberté tarifaire à un nombre important de praticiens de secteur I titrés. La Cour recommande un conventionnement sélectif applicable à tous les professionnels libéraux, en fonction du besoin de santé existant sur le territoire d’installation prévu. Si un médecin désire s’installer en zone surdotée, libre à lui, mais il doit alors le faire en secteur I. Je rappelle qu’en Allemagne, il n’y a pas de dépassement et les médecins sont bien mieux rémunérés qu’en France.
Sur la question des honoraires, vous plaidez pour le développement du financement à l’épisode de soins ou au parcours. L’acte est-il obsolète ?
A. D. Les révisions de nomenclature se sont traduites en réalité par l’accentuation des défauts de la rémunération à l’acte. Un nouveau mode de rétribution, remédiant aux disparités considérables entre les médecins spécialistes et généralistes, est souhaitable. La dernière convention a complexifié et rendu encore plus illisible le millefeuille tarifaire pour les patients.
Vous déplorez « l'insuffisante disponibilité » des médecins « en particulier tôt le matin ou en soirée ou pour des rendez-vous non programmés ». Les médecins libéraux travaillent déjà 56 heures par semaine en moyenne selon l'IRDES. Que proposez-vous ?
A. D. On ne demande pas à chaque médecin individuellement de travailler plus, mais aux professions de santé de mieux s’organiser collectivement. Une enquête de la DREES en juin 2013 a montré que 20 % des patients qui s’étaient rendus aux urgences citaient l’indisponibilité de leur médecin traitant comme motif de leur venue. Et l’on sait que plus des trois quarts de ces passages ne sont pas suivis d’hospitalisation ! L’accès aux urgences doit donc être mieux régulé et d’autres modes d’organisation de la médecine de ville sont nécessaires. Des maisons de garde, avec une amplitude horaire suffisante, pourraient être ouvertes. Des plages de consultation sans rendez-vous, qui ont tendance à disparaître, doivent également être restaurées.
Faut-il revenir à une garde obligatoire des médecins libéraux ?
A. D. Non, personne n’imagine revenir à l’obligation des gardes telle qu’elle a existé jusqu’en 2002. La médecine de ville est confrontée au vieillissement de ses effectifs, avec une surcharge de travail. Il faudrait même diminuer le nombre de secteurs de garde, encore trop nombreux, pour peser moins sur les médecins libéraux. Toutefois, l’affluence croissante des urgences hospitalières est le signe d’un déséquilibre profond entre la ville et l’hôpital. Ce dernier y trouve son intérêt, il est bien rémunéré sur l’urgence et cela génère un flux d’activité important. Agir sur une meilleure orientation et une plus grande discipline des patients est indispensable.
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