Cette fois, la charge est venue de la commission de l'Aménagement du territoire du Sénat. Réunis pour avis sur le projet de loi de santé, dont l'examen en séance publique débutera le 3 juin, plusieurs membres de cette commission sont montés au front pour réclamer au gouvernement des mécanismes de régulation des installations et de l'offre médicale dans les territoires.
Le lance-pierre et la mitrailleuse
Mardi, lors de l'audition d'Agnès Buzyn, le président de la commission, Hervé Maurey, sénateur centriste de l'Eure, a tiré le premier, visage grave. « On ne dit pas que cette loi est mauvaise mais qu'elle insuffisante ! Dans la lutte contre les déserts médicaux, les mesures sont essentiellement incitatives alors que la Cour des comptes a souligné que ces mesures sont onéreuses et inefficaces. On a le sentiment d'être devant une bombe à retardement », a-t-il lancé à la ministre de la Santé. « On se bat avec un petit lance-pierre là où il faudrait une mitrailleuse », juge-t-il, rappelant que 9 % de la population française vit dans un désert de médecins généralistes, soit « près de 6 millions de personnes ».
Jean-François Longeot, sénateur du Doubs (Union centriste), s'est montré tout aussi critique. La suppression du numerus clausus, prévue dans le projet de loi, est « un bel habillage, mais n'est pas la solution à tous les maux ».
En pratique, dans son avis, la commission de l'aménagement du territoire a proposé au gouvernement d'instaurer un dispositif de « régulation » des nouvelles installations des médecins libéraux conduisant tout droit au conventionnement sélectif. Ce mécanisme devrait être d'abord « négocié » par les syndicats de praticiens libéraux et la CNAM. En cas de désaccord (probable), dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi, le conventionnement sélectif s'appliquerait dans les zones surdotées sur le principe « une arrivée pour un départ ».
Dans la même veine régulatrice, la commission a validé un amendement visant à imposer un stage en zones sous-denses pour tous les internes.
Pas de recette miracle
Fidèle à sa ligne, et comme devant la commission des affaires sociales le 15 mai, Agnès Buzyn s'est opposée explicitement à toute mesure punitive. Devant les sénateurs, pour la première fois, elle a expliqué que la désertification médicale était « un problème mondial ». « Le directeur général de l'OMS a annoncé lors du G7 santé qu'il va manquer dans les 5 ans à venir 12 millions de professionnels de santé à travers le monde. Au Canada, on offre 100 000 dollars par mois pour s'installer dans certaines zones reculées. Personne n'a de recette miracle sur les déserts médicaux ! Les Allemands et les Canadiens sont revenus sur les mécanismes coercitifs. »
Face au « dumping financier » qui va s'aggraver dans les prochaines années, la ministre mise sur les solutions qui redonnent de l'attractivité aux territoires et donnent envie aux jeunes médecins de s'installer – incitations diverses, délégations de tâches, pratiques avancées, recours aux assistants médicaux ou encore soutien à l'exercice coopératif.
L'alerte de MG France
La profession a bien perçu les nouvelles menaces. Dans une lettre ouverte aux sénateurs, le syndicat de généralistes MG France exhorte les élus à ne surtout pas céder aux sirènes de la coercition « en raison des risques que celle-ci ferait courir à notre système de santé ». Elle entraînerait « une aggravation de la désaffection des médecins pour certaines spécialités particulièrement concernées comme la médecine générale, inciterait au déconventionnement (...), valoriserait les patientèles dans les territoires surdenses au détriment des territoires sous-denses » et « renforcerait la fuite des médecins vers le salariat ».
« À aucun moment, on ne parle de coercition, recadre Hervé Maurey. On ne propose que des mesures de... régulation car on considère que toute liberté doit être régulée. » Au Sénat, où les questions territoriales sont toujours très sensibles, le débat sur le maintien de la liberté d'installation des médecins s'annonce particulièrement vif.
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