LE QUOTIDIEN : La chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins de Normandie a rejeté la plainte de Béatrice Rosen contre vous pour manquements aux obligations déontologiques. Elle l’a même condamnée pour plainte abusive à votre égard. Êtes-vous soulagé ?
Dr FRANCK CLAROT : Je suis soulagé car je considère que la plainte de Béatrice Rosen n’était pas justifiée. Mais le sentiment qui prédomine est que tout le monde ne peut pas faire n’importe quoi et que la justice est là pour le rappeler. Par cette décision qui est juste, la chambre disciplinaire a pris en compte des difficultés que nous pouvons avoir sur les réseaux sociaux. Il n’y a pas eu de manquements aux obligations déontologiques comme l’avait prétendu Béatrice Rosen. Au contraire ! Le juge a même considéré que l’humour utilisé dans mes réponses était une forme d’expression qui n’était pas contraire aux principes de moralité, à la probité, au dévouement indispensable à l’exercice de la médecine, prévus dans le code de déontologie. C’est assez rare pour le souligner. La chambre disciplinaire a également condamné la plaignante pour procédure abusive. Elle a probablement voulu alerter sur ces plaintes qui ont pour objet de faire taire un certain nombre de médecins.
Mme Rosen compte néanmoins faire appel en s’appuyant notamment sur la décision de la chambre disciplinaire d’Occitanie qui, à l’inverse, a condamné le Dr Marty d’un blâme pour quasiment les mêmes faits. La bataille n’est pas finie…
Non, elle n’est pas finie. Mais je suis prêt à aller en appel devant la chambre disciplinaire nationale pour réexpliquer la situation. Je respecte cette instance contrairement à Mme Rosen qui ne s’était même pas présentée ni n’a été représentée lors de la séance de conciliation préalable. Dans sa décision, le juge ordinal a considéré que Mme Rosen a voulu instrumentaliser la procédure disciplinaire pour apporter de la visibilité à son thème de prédilection, la lutte contre la vaccination anti-Covid. Je souhaite aussi dire que mon affaire n’est pas semblable à celle du Dr Jérôme Marty. L’avocat de Béatrice Rosen a avancé cet argument pour tenter d’amalgamer les deux dossiers qui sont pourtant différents.
Il y a deux ans, vous avez été victime de cyberharcèlement. Avez-vous poursuivi ces cyberharceleurs ?
J’ai effectivement porté plainte contre plusieurs cyberharceleurs pour des menaces de morts. Une plainte a été transférée au parquet du sud de la France. Celle-ci a débouché sur une procédure du « plaider-coupable » qui a permis de juger rapidement l’auteur qui a reconnu sa culpabilité. Il n’y a donc pas eu d’audience. Actuellement, j’ai d’autres procédures en cours au pénal pour harcèlement contre des personnes dans une affaire groupée. Je n’abandonne pas. Les réseaux sociaux ne doivent pas être une zone de non-droit et la loi doit s’y appliquer. Il n’est pas admissible que les médecins soient l’objet de menaces de morts. Pas question d’abandonner cet espace, sinon dans ce cas-là, il vaut mieux se taire.
Vous restez actif sur les réseaux sociaux contrairement à d’autres médecins qui s’autocensurent par crainte d’être la cible des harceleurs. Pensez-vous que les pouvoirs publics ont pris les choses en mains pour mieux accompagner les lanceurs d’alerte ?
L’adoption, certes avec quelques difficultés, de la loi sur les dérives sectaires est un premier pas, notamment avec son article 4 qui prévoit un délit de provocation à l’abstention et à l’abandon des soins. Aujourd’hui, le cyberharcèlement est déjà sanctionné. Mais il faut aller porter plainte. La démarche peut sembler complexe puisqu’il faut aller voir la police et accepter d’être soumis à une évaluation par un psychiatre. Tout cela peut décourager. Il existe néanmoins un parquet spécialisé dans la haine et le harcèlement en ligne qui est très réactif, habitué à traiter ces sujets. Il ne faut donc pas hésiter à le solliciter.
Chose importante, on aimerait un peu plus de soutien de la part des ministres, des députés, des pouvoirs publics. Ils pourraient monter davantage au créneau pour condamner des comportements de cyberharcèlements de médecins. Quand un élu de la République est harcelé, la réaction n’est pas la même. En ce qui concerne l’Ordre, il y a récemment un peu plus de soutien et de prise de conscience du sujet. Cela est marqué notamment par la décision de la chambre disciplinaire de Normandie. Il faut que les médecins arrêtent d’être pris en grippe et qu’on arrête de leur dénier le droit de s’exprimer.
Comment lutter efficacement contre ces groupes d’influence relayant des désinformations ?
Les réseaux sociaux sont le royaume de l’immédiateté. À partir du moment où on dénie le droit à quelqu’un de s’exprimer, c’est un danger pour la démocratie. Mme Rosen ainsi que ses amis prônent un droit d’expression absolue mais pas pour tout le monde. Ces groupes fédèrent une vision différente de la société, une forme de colère, de doute permanent qui clive la société. L’un des gros problèmes actuels est la vaccination. La campagne HPV ne fonctionne pas, les cas de rougeole augmentent. Depuis plusieurs années, on assiste à un recul de la vaccination qui s’est accentué. C’est un sujet majeur.
L’autre sujet est une remise en question systématique de la parole scientifique par une poussée des rumeurs, des croyances. Contre les arguments dangereux, nous sommes plusieurs à essayer d’expliquer en donnant les informations les plus fiables, avec des sources. Le but n’est pas de convaincre mais d’éclairer la population sur des fausses idées. Il faut aussi trouver d’autres modes de communication plus rationnels et probablement améliorer les niveaux scientifiques de nos dirigeants qui ont fait pour la plupart des écoles n’ayant pas de base scientifique importante.
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