Elle est incroyable cette histoire d'un " rebouteux ", exerçant l'art de guérir, muni d'un véritable diplôme de Docteur en médecine de la Faculté de Paris ! Et pourtant elle est vraie… Si le peuple français est, comme on le prétend, le premier peuple au monde au point de vue social, et au moins le plus spirituel de toutes les nations de ce bel univers, que doit-il – grands dieux ! - se passer dans les autres pays ?
Vraiment, cette aventure à panache, plus invraisemblable qu'un roman ou qu'une pièce du théâtre classique - ce qui n'est pas peu dire - est bien caractéristique d'une époque comme la nôtre ; à cheval à la fois sur l'ignorance du passé et les aspirations les plus vastes d'une démocratie naissante. Ne montre-t-elle pas, en même temps, jusqu'où peut mener la lutte pour la vie et quelle somme de bêtise est encore répandue sur la terre française si féconde, pourtant, en hommes de valeur !
Ce rebouteux-confrère, qui récemment a comparu à Paris en police correctionnelle pour exercice illégal de la médecine, et qui, pour se défendre a répondu au président ces simples mots : " Pardon ; mais je suis docteur ! " est tout simplement pour moi, pourquoi le cacher, un homme de génie. Il a trouvé là une idée nouvelle, basée sur un fait d’observation courante et d'appréciation facile, et il a su l'exploiter avec habileté. Cette simplicité dans la conception et l'exécution dénote plus que du talent : elle montre même que, sous cette écorce un peu fruste, il y a aussi de l'imagination créatrice. Mais je la crois morte, depuis son passage au Palais…
Cet inventeur a raconté son histoire au tribunal. Ne voulant rien enlever au charme de ce récit, je cite textuellement. Une fois son grade obtenu à la Faculté, ce collègue avait naïvement pensé, comme un vulgaire bourgeois, que ce grade, prix de si longs efforts, lui assurait une carrière honorable. Il avait donc eu soin de clouer sur sa porte, en bonne place, une plaque de docteur-médecin. Volontiers, s'il eût osé, se fût-il mis dans le dos un écriteau portant ce titre si précieux… Hélas, il s'aperçut bientôt que ces deux mots magiques, "docteur-médecin ", n'avaient pas la vertu qu'il leur prêtait. La clientèle ne venait point ; son cabinet restait vide ; c'était la misère…
C'est alors qu'il se résolut à changer ses batteries. À quoi bon s'entêter ? Sa qualité de docteur, au lieu d'attirer les malades, les faisait fuir ! Il la dissimulerait. Ces pauvres gens se précipitaient dans des officines plus ou moins suspectes de guérisseurs. Lui aussi, tout comme un autre, il se sentait en état de faire un " rebouteux " présentable… Il tenta l'expérience : elle réussit ; notre homme était sauvé, et depuis il mangea tous les jours.
J'ajoute qu'on le dénonça comme rebouteux, paraît-il, une première fois. Mais il se garda bien - autre idée de génie ! - de divulguer son titre et se laissa condamner (toutefois avec application de la loi Béranger), pour ne pas perdre… sa clientèle ! Puis, une seconde fois, voyant qu'il ne pouvait plus se tirer de l'impasse à son honneur et qu'il allait perdre le bénéfice de ladite loi, il se résolut à avouer, quitte à ne plus revoir ses clients. Le bourgeois qui sommeillait en lui, comme chez tout bon négociant de France, manqua de logique et d'audace et se refusa à aller jusqu'au bout du rôle qu'il avait ébauché ! Debout, devant la magistrature assise, notre rebouteux se drapa dans sa dignité doctorale. Ce regain d'orgueil mal placé, s'il lui évita l'amende, lui enleva certainement sa clientèle, qui aurait doublé après sa condamnation, s'il avait eu le courage de son opinion !
Quoi qu'il en soit, cette solution au problème, toujours d'actualité, de l'encombrement de la profession médicale est vraiment une idée à creuser ; elle donne satisfaction à la crédulité - pour ne pas dire plus - de la foule et de ses… députés, et offre, avec un peu de pain, un débouché nouveau aux jeunes diplômés. C'est à se demander si, par ces temps de déficit énorme dans tous nos budgets, on ne ferait pas mieux de fermer nos écoles. Il est vrai que la masse votante ne pourrait plus bouder les docteurs - ces pauvres intellectuels ! - dont elle a payé les études. Et ce serait vraiment dommage.
(Marcel Baudoin, in " La Gazette médicale de Paris ", 1898)
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