« Vous ne rendez pas honneur à votre profession » : au procès Le Scouarnec, les contradictions de l’ex-président de la CME de Jonzac

Publié le 16/05/2025
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À la barre du tribunal judiciaire de Vannes, le Dr Henri Sandillon, ancien président de la CME de l’hôpital de Jonzac, s’est efforcé de nier toute connaissance du passé judiciaire de Joël Le Scouarnec au moment de son recrutement. Mais ses déclarations contredisent celles qu’il avait faites en 2017, lors de l’arrestation du chirurgien pédocriminel.

Crédit photo : Aude Frapin

En 2017, il avait dit être au courant. Aujourd’hui, il dit l’inverse. Ce vendredi 16 mai, Henri Sandillon, ORL arrivé à l’hôpital de Jonzac dans les années 1980 et retraité depuis 2020, a été entendu comme témoin au procès de Joël Le Scouarnec, l’ex-chirurgien jugé depuis le 24 février au tribunal judiciaire de Vannes pour viols et agressions sexuelles sur 299 patients.

Âgé de 73 ans, l’ancien ORL occupait, au moment du recrutement à Jonzac de Joël Le Scouarnec en 2008, la fonction de président de la CME de l’hôpital. Un rôle qualifié d’« honorifique », mais qui confère un droit de regard important sur l’embauche des praticiens, notamment via la consultation des dossiers (casier judiciaire, diplômes) et un vote final. « Notre avis pèse peu, a-t-il souhaité tempérer. Mais je n’avais rien de négatif à signaler le concernant (…). Je me souviens qu’il y a bien eu un vote en CME qui a été expédié rapidement car il y avait consensus », a-t-il déclaré.

Deux versions, un mensonge

Interrogé sur sa possible connaissance au moment du recrutement de la condamnation de Joël Le Scouarnec en 2005 pour détention d’images pédopornographiques, le praticien aujourd’hui retraité a affirmé n’en avoir jamais été informé. « Au moment de son recrutement, je n’en savais absolument rien. Je ne l’ai appris qu’après son arrestation [en 2017 pour le viol présumé d’une fillette de six ans, NDLR], lorsque j’ai été entendu par la police », a-t-il déclaré. À plusieurs reprises à la barre, il a insisté sur le fait qu’il n’avait été mis au courant qu’après cette arrestation. « Ni l’Ordre des médecins ni la CME de Quimperlé [ou Le Scouarnec a exercé avant Jonzac, NDLR] ne m’ont transmis l’information. J’en veux énormément au Conseil de l’Ordre de n’avoir rien dit, j’aurai mis mon véto », a-t-il martelé.

Problème : cette dernière version tranche « radicalement » avec celle qu’il avait livrée en 2017 au moment de l’arrestation de Le Scouarnec et d’une interview réalisée de lui en 2020, en face cachée, pour le magazine « Envoyé Spécial ». La présidente de la Cour lit un extrait de ladite déposition : « Vous avez dit, je cite : “Oui, je l’ai appris de sa propre bouche. Il m’a expliqué qu’il s’était fait gauler, que les flics avaient trouvé des images sur son ordi. Il m’a dit qu’il avait fait des bêtises. J’ai appris ça quelque temps après son recrutement” », lance-t-elle.

Le faux témoignage : l’ancien praticien risque gros

Dans un élan de mauvaise foi, l’ancien ORL tente de se rattraper : « Je pense avoir mal relu ma déposition. Je n’ai jamais dit ça, et je n’ai jamais eu connaissance d’images pédopornographiques. Il m’a parlé de “bêtises” en minimisant. Je n’ai pas creusé. Ces bêtises, ça aurait pu être n’importe quoi : un délit de fuite, des problèmes d’alcool… ». Une justification qui fait bondir l’un des avocats des parties civiles : « Alors pourquoi, si vous ne saviez rien, avez-vous aussi déclaré dans cette même déposition : “Oh le con, il a récidivé ” ? »

Visiblement déstabilisé, le témoin s’embrouille : « J’ai appris les choses en étant interrogé trois jours après son arrestation. C’est l’enchaînement des faits… », balbutie-t-il, péniblement.

Laquelle des deux versions est la bonne ? Celle livrée en 2017 ou celle livrée, ce vendredi 16 mai, devant la Cour ? L’un des avocats des parties civiles interpelle la présidente : « Il y a forcément un des deux témoignages qui correspond à un mensonge et je demanderais à la présidente d’en tirer toutes les conclusions ». « Un faux témoignage livré devant une Cour criminelle est passible de 7 ans de prison et de 100 000 euros d’amende », insiste à son tour l’avocat général, Me Stéphane Kellenberger.

« Avez-vous le sentiment que la désinvolture voire la légèreté du corps médical a pu offrir un terrain favorable à Joël Le Scouarnec ? », interroge un avocat des parties civiles. Henri Sandillon s’en défend aussitôt : « Les médecins restent des professionnels responsables. Je ne parlerais pas de désinvolture. Quand nous avons les informations, nous prenons nos décisions », glisse-t-il, renvoyant une fois encore la faute sur les instances administratives hospitalières.

Aucune mention des problèmes d’hygiène de Le Scouarnec en CME

Par ailleurs, avait-il remarqué les problèmes d’hygiène de son confrère chirurgien ? Avait-il fait remonter le problème en CME, sachant que les blocs opératoires réclament une hygiène irréprochable ? « Son apparence olfactive et physique sont assez peu en accord avec l’image qu’on se fait d’un médecin qui va opérer au bloc, pourquoi ne pas avoir posé la question ? », interroge la Cour.

« Quand il était là, on le savait, admet-il. Mais vous savez, si l’on devait s’arrêter à l’odeur, alors il faudrait interdire à n’importe quel rouquin de faire médecine », lâche-t-il, face à une audience stupéfaite. Entre incohérence et confusion, Henri Sandillon n’aura à aucun moment convaincu la salle de sa bonne foi. « Vous ne rendez pas honneur à votre profession », conclut un avocat des parties civiles.

La déposition de Joël Le Scouarnec qui accable une nouvelle fois l’hôpital de Jonzac

Dans une déposition datée du 2 mai 2017 que Le Quotidien a pu consulter, Joël Le Scouarnec confirme avoir lui-même évoqué sa condamnation dès son arrivée à Jonzac. « J’en ai parlé à la directrice et au président de la CME, le Dr Sandillon. Je leur ai expliqué les faits, et que le Conseil de l’Ordre s’interrogeait sur mon inscription en Charente-Maritime (…). Ils ont accepté ma candidature. Je leur ai dit pour quoi j’avais été condamné, et qu’il n’y avait pas d’obligation de soins. Rien ne s’est passé avec des enfants jusqu’à cet épisode avec la voisine », lit-on.

De notre envoyée spéciale Aude Frapin

Source : lequotidiendumedecin.fr